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robes, étalées en éventail, empêchaient la souveraine d’être vue de ses sujets. Le cardinal-ministre ne savait comment remédier à la gravité d’une pareille situation. Après avoir longtemps réfléchi, il décida que les deux fauteuils de droite et de gauche resteraient vides. Les princesses se soumirent à la condition que, pour marquer la distance des rangs, on laisserait également des fauteuils vides entre elles et les duchesses. Les ducs réclamèrent à leur tour contre cette prétention, qu’ils regardaient comme un outrage fait à leurs femmes. Ils publièrent un pamphlet anonyme, et ce pamphlet, déféré au parlement, fut brûlé comme l’Emile par la main du bourreau.

Pendant la minorité de Louis XV, les hommes étaient restés fidèles à l’ancien costume : c’était celui de Pascal, de Molière, de Boileau, de Colbert ; on n’y touchait qu’avec respect ; mais déjà la révolution posait ses prémisses. Montesquieu avait mis l’Angleterre en vogue ; à défaut de ses libertés, on lui emprunta ses modes. La redingote, riding coal, fit son apparition en 1730. Les réactionnaires lui opposèrent l’habit à la française, et, pour montrer qu’ils n’étaient point des puritains, ils couvrirent cet habit de paillettes. Les femmes s’habillèrent à la façon des bergères de théâtre, et, pour se rapprocher de la nature, elles prirent des chapeaux de paille à la Bastienne et des robes semées de fleurs en toile peinte. Tout était faux comme une idylle de Gessner ou un tableau de Boucher dans cette société, la plus brillante de l’Europe par l’esprit et la plus sotte par la futilité. On n’y comptait pas moins de quarante-cinq variétés de perruques ; les coiffeurs tenaient le haut du pavé, et ce fut leur âge d’or. Dugué allait en équipage à deux chevaux, comme les grands médecins de nos jours, travailler chez ses clientes, parmi lesquelles il comptait Cotillon III, marquise de Pompadour. Legros publiait des traités sur son art, fondait une académie de coiffure et faisait promener sur le cours et les boulevards des jeunes filles dites prêteuses de têtes, qui exhibaient les nouvelles combinaisons de son génie inventif. Il va sans dire que la poudre à poudrer, suivant le mot de l’époque, était l’accompagnement indispensable de toutes les toilettes ; on y employait une si grande quantité de farine que le parlement la traduisit à sa barre, en l’accusant d’être complice de la disette, ce qui ne l’empêcha pas de survivre aux parlemens et même à la révolution ; elle suivit les émigrés à Londres et à Coblentz, et reparut en 1815 avec les ailes de pigeon sur la tête des royalistes entêtés qu’on appelait alors les voltigeurs de Louis XIV, et qu’on appelle aujourd’hui les chevau-légers.

Toutes les armes qui figuraient au siècle précédent dans l’arsenal de la coquetterie, les mouches, le fard et le rouge, étaient