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inventa les ressorts, et l’invention fut trouvée si parfaite que tous les gens à l’aise firent fabriquer des carrosses suspendus, les uns couverts d’un vernis brillant, décorés de peintures et d’applications d’or en feuilles, d’autres rehaussés de cuivre ou d’étain en relief, imitant si parfaitement les métaux précieux qu’on avait peine à faire la différence. Tous étaient garnis de glaces au lieu de rideaux comme devant. Les chevaux des attelages portaient des plumets, des pompons, des housses ornées de crépines d’or, et le nombre en était si grand qu’on aurait pu, au dire d’un railleur contemporain, traverser Paris en marchant sur leurs plates-formes sans toucher le pavé[1]. L’ameublement des maisons répondait à la richesse des voitures. On peut en juger par les inventaires qui furent dressés dans les dernières années du règne chez les marchands et les habitans de Paris pour constater la quantité de métaux précieux, or ou argent façonné, qu’ils possédaient chez eux, et les forcer de les porter à la fonte pour les transformer en monnaie. Ces inventaires nous ont été conservés dans les papiers du commissaire de Lamarre, l’auteur du célèbre Traité de la police, et rien ne montre mieux jusqu’à quel point s’abusent ceux qui s’obstinent encore à vanter la simplicité de nos aïeux. En 1700, on ne comptait pas moins de soixante et onze boutiques d’orfèvres dans la section du Pont-Neuf et de l’île Notre-Dame. Ces orfèvres, outre la vaisselle de table, fabriquaient une foule de petits ustensiles, pour lesquels on n’emploie guère aujourd’hui que le cuivre, le fer ou le bois, tels que des ménages d’enfans, des sonnettes, des écritoires, des grils. Les brocarts à fond d’or et à fleurs d’argent, les velours bleus et cramoisis à fleurs d’or, se rencontrent jusque chez les marchands de la rue Saint-Denis. Nos meubles mesquins, notre ébène apocryphe, notre plaqué d’acajou, nos velours de coton, nos rideaux en toile peinte, nos papiers au rabais, paraissent bien misérables à côté des tapisseries des Gobelins, des garnitures de cheminées à crépines d’or, des guéridons et des fauteuils d’ébène massif à pieds dorés, des bureaux ornés d’incrustations d’ivoire ou d’écaille. Ce que Palissy avait fait au XVIe siècle pour la faïence modelée et peinte, Boule le fit au XVIIe pour l’ébénisterie[2]. Il créa la marqueterie de cuivre sur écaille, et ses meubles sont restés classiques

  1. La Bruyère parle des carrosses dans le chapitre de la Ville. « Les empereurs, dit-il, n’ont jamais triomphé si mollement, si commodément ni si sûrement contre le vent et la pluie, la poudre et le soleil, que le bourgeois sait à Paris se faire mener par toute la ville. » À défaut de carrosses, on avait les fiacres, qui doivent leur origine à un fabricant de voitures qui avait pour enseigne : à saint Fiacre.
  2. On trouvera sur ce remarquable artiste, mort en 1730 à l’âge de quatre-vingt-dix ans, une curieuse notice dans les Archives de l’art français, n° du 15 septembre 1856.