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leur lit, des masques de velours ou de satin noir, maintenus sur leur visage au moyen d’un cordon terminé par une perle qu’elles tenaient dans leur bouche, des boucles d’oreilles en pierreries et en perles d’Amérique, des ceintures auxquelles étaient suspendus d’un côté un petit miroir, de l’autre un éventail pliant en velin richement découpé avec garnitures de dentelle. En voyant ce débordement de luxe, Henri III oublia qu’il en était l’instigateur et le complice ; il promulgua des édits somptuaires et les fit exécuter avec une extrême rigueur. En 1583, plus de trente dames de Paris furent en pleine rue appréhendées au corps et incarcérées au For-l’Évêque, l’une des sept grandes prisons de la capitale, sans que les maris et les parens aient pu leur en ouvrir les portes, même avec la clé d’or qui, dans le bon vieux temps, en forçait si souvent les serrures. Cette fois, comme toujours, les sévérités ne corrigèrent personne. Une vingtaine d’édits furent publiés au XVIe siècle contre le luxe, et il en fut de ces édits comme des ordonnances sur les duels. Pour abolir le duel, il fallait arracher, du cœur humain le ressentiment des outrages ; pour abolir le luxe, il fallait supprimer la vanité : les prérogatives de la couronne n’allaient pas jusque-là.

Malgré quelques excentricités ridicules, le génie païen de la Grèce et de Rome mettait partout son empreinte, et le beau était devenu le compagnon inséparable de l’utile. Le caractère triste et sombre que le moyen âge, ennemi du jour et du soleil, imprimait à ses constructions, disparut pour faire place à des maisons élégantes où la lumière pénétrait par de larges fenêtres. Ce n’était plus seulement pour l’église que les arts déployaient leurs magnificences ; c’était pour tous ceux qui avaient le culte de la beauté matérielle, anathématisé, pendant tant de siècles par la théologie. Les plus modestes ouvriers travaillaient le fer et le ciselaient avec tant d’habileté qu’il pouvait rivaliser avec les plus belles pièces d’orfèvrerie[1]. Aux sièges massifs du moyen âge, on substitua des chaises légères, dorées, garnies de velours et de soie frangée. La vaisselle de table, les vases à boire et à mettre les boissons offrirent de merveilleux modèles d’élégance et de bon goût. L’or, l’argent, l’écaille, les coquillages, le verre, le cristal, l’onyx translucide, l’ivoire, la faïence italienne connue sous le nom de majolica, le buis, l’érable et le tremble en fournissaient la matière première. Ils étaient ornés de pierres précieuses, de ciselures, d’arabesques, de figures travaillées au repoussoir, et pour la plupart munis d’un couvercle fermant à clé, que les convives ouvraient en se mettant à table, car les empoisonnemens étaient si fréquens que chacun craignait d’en être victime. Les grands personnages, plus exposés

  1. Voyez comme spécimen la serrure cotée 1602 au musée de Cluny.