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des prélats à barbe dans certains diocèses où les mentons rasés étaient seuls orthodoxes. Témoin des querelles que la question des barbes avait suscitées, et comme tous les membres du parlement ennemi du luxe, qu’il accusait d’appauvrir l’état, François Olivier, chancelier de France sous Henri II, voulut trancher du Lycurgue et fit rendre en 1549 une ordonnance qui réglait dans le plus grand détail, pour chaque condition, les diverses espèces d’étoffes, en assignant sur les habits des deux sexes la place que devaient occuper les garnitures, les passemens, les ornemens en métaux précieux. L’or et l’argent n’étaient permis, même aux grands seigneurs, que pour les boutons et l’extrémité des lacets. Des protestations s’élevèrent de toutes parts ; le chancelier fut forcé de reconnaître qu’il avait pris Athènes pour Lacédémone et que le temps de Lycurgue était passé. Il fit quelques concessions ; les Français, qui dans tous les temps ont été, quoi qu’on en ait dit, le plus docile de tous les peuples, le moins exigeant en fait de libertés, se firent tailler des habits selon l’ordonnance. Le costume, dégagé de tout ce qu’il avait d’affecté et de ridicule sous François Ier, prit un cachet d’élégance qui n’a jamais été dépassé ; mais peu à peu l’anarchie des esprits se refléta dans les vêtemens. Les rangs, les sexes, les professions se confondirent ; les femmes s’habillèrent en hommes, ce qui ne s’était jamais vu jusque-là. Quelquefois même elles ne s’habillèrent que tout juste pour ne point paraître dans le costume primitif de la mère du genre humain ; ce genre de toilette était réservé pour les fêtes de la cour. Dans un dîner donné par Catherine de Médicis à Chenonceaux, « les plus belles et les plus honnestes dames, allant à moitié nues, dit Pierre de l’Estoile, et les cheveux espars comme épousées, furent employées à faire le service. » Quelques jours plus tard, dans un autre dîner donné par le roi au Plessis-lès-Tours, on dépensa plus de 60,000 francs en achats de soie verte pour habiller ces honnestes dames, qui cette fois servirent à table en habits d’hommes. Chaque jour. amenait une excentricité nouvelle. L’échevinage de Paris, qui partageait les idées du temps et ne soupçonnait pas que le luxe fait aller le commerce, protesta contre des habitudes « qui tournaient au scandale de cette ville, le miroir et exemple d’honneur, modestie et geste des autres villes[1]. » Les caricaturistes de leur côté se mirent en verve de raillerie, et l’un d’eux représenta un Parisien tout nu devant un monceau de draps et d’étoffes diverses, des ciseaux à la main, pour exprimer que la mode changeait si vite qu’elle ne laissait pas même le temps de tailler un habit.

Ce fut bien pis encore sous Charles IX et Henri III. Les robes à

  1. Godefroy, le Cérémonial français, t. II, p. 5.