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autrefois ressentie lorsqu’il errait, encore enfant, dans le musée des Monumens français. « C’est dans ce musée, disait-il, et nulle autre part que j’ai reçu d’abord la vive impression de l’histoire. Je remplissais ces tombeaux de mon imagination ; je sentais ces morts à travers les marbres, et ce n’était pas sans quelque terreur que je pénétrais sous les voûtes basses où dormaient Dagobert, Chilpéric et Frédegonde. » Il n’y a rien en effet qui fasse davantage sentir les morts que de tenir entre, ses doigts les feuilles où leur pensée passagère s’est inscrits en traits ineffaçables. N’avez-vous pas ressenti une tristesse plus pénétrante à rassembler les lettres d’un être aimé qui n’est plus, qu’à vous agenouiller sur son tombeau, tant le contraste est poignant entre la durée de ces documens éphémères et la mort prématurée de celui qui leur a donné la vie ? Mais lorsque ces feuilles jaunies ne vous apportent que la voix des générations passées, lorsqu’on peut sans émotion les sentir palpiter sous ses doigts, on croit entendre les morts eux-mêmes qui vous parlent et qui vous reprochent de soulever le voile de leurs secrets. — De tels scrupules ne sont point faits heureusement pour arrêter les historiens, et Michelet moins que tout autre. Ce fut avec une joie sans mélange qu’il pénétra le mystère des vieux cartons et qu’il secoua la poudre des dossiers oubliés. Volontiers se serait-il écrié, comme cet empereur d’Allemagne qui ne voulait plus quitter une abbaye où il s’était arrêté pour prier : « Voici l’habitation que j’ai choisie et mon repos aux siècles des siècles. » Pendant vingt ans, Michelet fut un des hôtes assidus de ce monastère historique, et il tira de ces richesses enfouies les matériaux de ses premiers volumes. C’est aux fouilles entreprises par lui dans nos archives nationales qu’il doit d’avoir su donner à son histoire ce qui manque peut-être à des œuvres d’une méthode plus sévère : la vie. « J’ai appelé l’histoire résurrection, » disait-il, et c’est bien en effet une résurrection que cet art de rendre la parole à la foule inconnue de nos pères en nous apportant l’écho de leurs joies, de leurs colères, de leurs souffrances et de leurs rêves.

Il y a dans la longue et confuse histoire du moyen âge trois époques décisives, où cette masse muette et souffrante qui s’appelait alors le peuple fut soulevée en quelque sorte au-dessus de sa condition grossière par un souffle puissant dont les pages de Michelet semblent palpiter encore. Lorsque les tribus barbares, qui promenaient leur course errante des forêts de la Germanie aux rivages de l’Océan, eurent été l’une après l’autre tirées de leur ignorance et façonnées à la civilisation par les enseignemens de l’église, lorsque les Gaulois belliqueux, les Francs sanguinaires, les Goths dissolus, eurent adouci leurs mœurs et confondu leurs usages sous la main