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abnégation d’eux-mêmes ils ont travaillé, il faut, pour le savoir, parcourir les parties les plus reculées, les plus inaccessibles des cathédrales. Élevez-vous, dans ces déserts aériens, aux dernières pointes de ces flèches où le couvreur ne se hasarde qu’en tremblant, vous rencontrerez souvent, solitaires sous l’œil de Dieu, aux coups du vent éternel, quelque ouvrage délicat, quelque chef d’œuvre d’art ou de sculpture, où le pieux ouvrier a usé sa vie. Pas un nom, pas un signe, une lettre, il eût cru voler sa gloire à Dieu. Il a travaillé pour Dieu seul, pour le remède de son âme. » — À ces pages célèbres, qui tombent cependant un peu dans le défaut de ce qu’on appelait alors le gothique flamboyant et que la mode romantique du jour lui a visiblement dictées, je préfère celles, plus simples et plus sobres, par lesquelles s’ouvre le second volume. Il développe cette idée très juste que dans les temps barbares l’action de la nature agit plus fortement sur les peuples que dans les temps civilisés, et avant de s’engager dans la période où l’histoire de France commence à se localiser en se séparant de l’histoire germanique, c’est-à-dire l’époque des premiers Capétiens, il nous fait faire avec lui un véritable tour de France. Il part de la pauvre et dure Bretagne, « grand écueil placé au coin de la France pour porter le coup des courans de la Manche, et où il s’est trouvé, lorsque la patrie était aux abois et qu’elle désespérait presque, des poitrines et des têtes plus dures que le fer de l’étranger. » Il traverse la noire ville d’Angers, « qui dort au bord du triple fleuve de la Maine, et dont la cathédrale avec ses flèches boiteuses, l’une sculptée et l’autre nue, exprime suffisamment la destinée incomplète de l’Anjou. » De là il gagne « le pays du rire et du rien-faire, les bords de la molle Loire, où le saule vient boire dans le fleuve, où les îles fuient parmi les îles, molle et sensuelle contrée que les favoris et favorites des rois avaient choisie pour y établir leurs châteaux, et où vint aussi pour la première fois l’idée de faire la femme reine des monastères, et de vivre sous elle dans une voluptueuse obéissance mêlée d’amour et de sainteté, comme dans cette abbaye de Fontevrault à laquelle Richard Cœur-de-Lion avait légué son cœur, espérant que ce cœur meurtrier et parricide finirait par reposer peut-être dans une douce main de femme et sous la prière des vierges. » Je voudrais pouvoir le suivre à travers les belles collines granitiques et les vastes forêts de châtaigniers du Limousin, à travers l’Auvergne et les Cévennes, « vaste incendie aujourd’hui éteint, paré presque partout d’une forte et rude végétation, » jusqu’à l’entrée de l’étroite vallée de Cahors, par laquelle il pénètre dans la grande vallée du Midi ; « Là, tout se revêt de vignes. Les mûriers commencent avant Montauban. Un paysage de 30 ou 40 lieues s’ouvre devant vous, vaste océan d’agriculture, masse animée, confuse, qui se perd au