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disserter sur les origines ou les conséquences de ces faits. Il a d’ailleurs une tendance visible à réduire l’importance de ceux que les historiens se sont plu jusqu’alors à considérer comme décisifs. On dirait aussi qu’il est un peu jaloux des grands hommes, comme s’il avait pour qu’ils ne fassent oublier leur historien. A quoi bon au surplus parler des hommes ? Ce ne sont point eux qui conduisent les événemens ; ce sont des lois fatales aperçues par Vico, éclaircies par Michelet. Voyons donc quelle est aux yeux de Michelet la philosophie de l’histoire de France, et comment au début de sa carrière il en conçoit le développement.

Ce qui a fait la France telle que nous la voyons aujourd’hui, c’est la double puissance de l’église et de la monarchie. L’église a tiré la France de la barbarie, la monarchie a fait son unité et préparé l’égalité civile. Telle est la conception très nette, très simple, et, suivant moi, très juste, qui découle de la lecture du Précis d’histoire moderne et des premiers volumes de l’Histoire de France. Cette théorie est en opposition, sinon directe, du moins latente avec celle des écrivains qui appartenaient sous la restauration à l’école libérale. Pour battre en brèche dans leurs prétentions les partisans du pouvoir monarchique absolu, ces écrivains s’étaient efforcés de mettre en lumière dans notre histoire les moindres vestiges de liberté ou d’indépendance locale, et de montrer par là que le passé de la France n’était pas un passé de despotisme ni d’arbitraire. C’était, il en convenait lui-même, « avec le vif désir de contribuer pour sa part au triomphe des opinions constitutionnelles, » qu’Augustin Thierry avait commencé ses premières recherches historiques. Aucune préoccupation de cette nature ne paraît avoir inspiré Michelet. Il résume en trois petites pages l’histoire de l’affranchissement des communes qui a inspiré à Thierry de si beaux récits ; mais nul écrivain n’a trouvé des accens aussi émus pour peindre à cette première époque l’influence bienfaisante de l’église. « L’église était alors le domicile du peuple. La maison de l’homme, cette misérable masure où il revenait le soir, n’était qu’un abri momentané. Il n’y avait qu’une maison à vrai dire, la maison de Dieu. Ce n’est pas en vain que l’église avait le droit d’asile, c’était alors l’asile universel ; la vie sociale y était réfugiée tout entière. L’homme y priait, la commune y délibérait ; la cloche était la voix de la cité. Elle appelait aux travaux des champs, aux affaires civiles, quelquefois aux batailles de la liberté. » Les pages qu’il a consacrées à la description des cathédrales gothiques sont demeurées célèbres. On dirait par momens qu’il a vécu de la vie de ces maçons pieux « qui du marteau païen sanctifié dans leurs mains chrétiennes continuaient par le monde le grand ouvrage du temple nouveau. » — « Avec quel soin, continuait-il dans son enthousiasme, avec quelle