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élèves l’a longtemps imité, jusque dans ses procédés de diction monotone et un peu chantante.

Sa nomination à l’École normale ne fut pas le seul avantage que lui procura le succès du Précis d’Histoire moderne. Il fut à cette même époque choisi pour donner des leçons d’histoire à l’aînée des filles du duc de Berry, qui était alors âgée de huit ans et qui devait être un jour la duchesse de Parme. Michelet trouva une intelligence ouverte à ses leçons dans la jeune princesse qui depuis a montré tant de modération dans l’exercice du pouvoir et tant de dignité dans l’exil. Aussi conserva-t-il toujours un souvenir attendri de sa royale et docile élève. « Elle a ému disait-il, mes entrailles de père. » Le souvenir de cette émotion ne suffit pas toutefois pour assurer à la famille auguste qui avait remis entre ses mains ce précieux trésor, le respect de Michelet devenu républicain. Un jour qu’il semblait accueillir avec crédulité je ne sais quelle ignoble calomnie dirigée contre les Bourbons de la branche aînée, quelqu’un lui dit brusquement : « Vous qui les avez vus de près, comment croyez-vous à ces sottises ? — Ces gens-là, répondit Michelet, n’ont jamais mis leur confiance en moi. »

Quoi qu’il en soit de ce grief, il est certain que Michelet ne professait point alors à l’endroit de la monarchie « ces haines vigoureuses » dont il crut plus tard devoir la poursuivre. Il s’était cependant, comme presque tous les hommes de lettres sous la restauration, rapproché vers la fin du parti de l’opposition, et il accueillit la révolution de juillet avec le même sentiment de confiance et d’enthousiasme un peu crédule qui animait alors tous les libéraux. On raconte même que, voyant du seuil de l’École normale des bandes d’ouvriers et d’étudians qui se rendaient au combat, il s’écria d’un ton inspiré : « Faites l’histoire, nous l’écrirons ! » Ce fut sous le coup de cet enthousiasme qu’il composa son Introduction à l’histoire universelle. Tel est le titre pompeux donné par lui à un petit opuscule « d’un vol rapide, d’un incroyable élan, » assurait-il lui-même, où il développait tout un système sur l’histoire du monde et sur la lutte de la liberté contre la fatalité, dont la révolution de juillet était à ses yeux le dernier terme. Il y aurait aujourd’hui peu d’intérêt à discuter les théories de Vico, que Michelet s’est en partie appropriées, sur le flux et le reflux des événemens (le corso et le ricorso, disait Vico), sur la triplicité des âges, sur l’éternel mouvement de la décomposition à la composition, et de l’analyse à la synthèse[1]. J’aime mieux tirer de cet

  1. Les théories de Michelet sur la philosophie de l’histoire ont été ici même l’objet d’une analyse et d’une critique très judicieuse de la part de M. Cochut. — Voyez la Revue du 15 janvier 1842.