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vêtement conventionnel où l’histoire demeurait drapée. « La critique des ouvrages historiques destinés à être mis entre les mains des étudians, disait Augustin Thierry, n’est pas la moins utile, car, si les écrits de ce genre ont moins d’originalité que les autres, ils exercent plus d’influence, et les erreurs qu’ils contiennent sont plus dangereuses parce qu’ils s’adressent à des lecteurs incapables de s’en préserver. » L’originalité est cependant le trait distinctif de ce précis de 300 pages, qui vous fait courir sans fatigue depuis la prise de Constantinople jusqu’à la révolution française. Beaucoup de méthode et d’art dans la manière de grouper les faits, une juste proportion donnée aux événemens, un choix heureux de traits et d’anecdotes, une mesure équitable dans les jugemens ; telles sont les qualités que Michelet ne devait pas conserver toujours et qui distinguent son premier ouvrage. Ajoutez à cela qu’on sent couver, sous toutes ces pages élégantes et sobres, cette chaleur contenue, cette flamme intérieure qui ne prête pas moins de charme aux écrits qu’aux personnes, et qui se trahit parfois dans le Précis d’histoire moderne par des traits hardis d’imagination et d’éloquence. Aussi ce petit ouvrage n’a-t-il pas vieilli d’un jour : on pourrait aujourd’hui comme alors le mettre avec fruit aux mains des écoliers, toutes les qualités de Michelet y brillent déjà, et ses défauts n’y apparaissent pas encore.

Le succès de ce Précis tira Michelet de son obscurité ; il fut chargé d’enseigner l’histoire et la philosophie à l’École normale. Mgr Frayssinous avait signé sa nomination, et, lorsque M. Guignaut fut nommé plus tard directeur de l’école, M. de Vatimesnil, ministre de l’instruction publique, rassura les personnes qu’inquiétaient les tendances du nouveau directeur, en leur promettant que son influence serait combattue par celle d’un jeune maître de conférences, sur lequel on comptait beaucoup pour maintenir dans l’enseignement de l’école les saines doctrines politiques et religieuses. Ce jeune maître de conférences était Michelet, alors membre de la Société des bons livres. Il ne devait pas tarder à devenir l’occasion de quelques déceptions pour ceux qui, trompés par la lecture de son Précis, avaient mis en lui cette singulière confiance. Ce fut dans ces leçons, adressées non plus à des écoliers, mais à des jeunes gens destinés à être le lendemain des maîtres, qu’il déploya comme professeur ses qualités les plus sérieuses. Il apportait déjà dans son cours la chaleur de son imagination, les hardiesses de son esprit et la poésie de son langage, sans se livrer aux élans de cette ardeur désordonnée qui devait compromettre un jour son enseignement au Collège de France. L’influence qu’il exerça sur son jeune auditoire fut profonde, et s’est fait longtemps sentir dans l’Université. Plus d’un parmi ses