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vie. Jamais il n’a connu cette heureuse union du repos moral avec le bien-être qui favorise le développement paisible des facultés et l’harmonie du caractère avec le talent. L’équilibre ne s’est jamais établi au dedans de cette nature nerveuse, et ce désordre intérieur dont l’homme a dû souffrir n’a pas été sans influence sur les défauts de l’écrivain.

Le retard de son éducation première n’empêcha pas Michelet de terminer vite et bien ses études. Il sortit du collège avec un bagage littéraire convenable qu’il compléta en subissant les épreuves du doctorat. Les années qui suivirent sa sortie du collège ne furent pas seulement pour Michelet un temps de consciencieuses études. Pour la première fois il secoua cette insouciance intellectuelle où se complaît l’enfance, et il se prit à serrer de plus près les problèmes qu’il avait entrevus quelques années auparavant au bout de l’Imitation. Enfant, il n’avait pu, disait-il, aller bien loin dans ce livre, « ne comprenant pas le Christ. » Jeune homme, il s’efforça de le comprendre en apprenant à le connaître. Il demeurait à cette date dans un faubourg de Paris, tout près du Père-Lachaise, et ce voisinage constant de la mort contribua peut-être à tourner sa pensée vers des sujets sévères. M. Monod nous apprend qu’à dix-huit ans, c’est-à-dire à l’âge où les premières hardiesses de l’esprit et les premières tentations du monde éloignent souvent des idées religieuses, Michelet sollicita et reçut le baptême ; mais il s’arrêta en quelque sorte sur le seuil de l’église. Lui-même s’est fait gloire de n’y avoir communié jamais. Quel que soit le temps qu’aient duré chez lui ces préoccupations religieuses, c’étaient en tout cas de nobles sujets d’étude pour un jeune homme qui venait à peine d’échanger la rude vie du collège contre une existence non moins laborieuse, Il consacrait sa matinée à des leçons particulières dont la modeste rémunération suffisait à peine à ses besoins. L’après-midi, il se plongeait avec délices dans la lecture de ses poètes favoris, Homère, Sophocle, Théocrite, et le dimanche il errait avec un docte ami, compagnon de ses travaux et confident de ses pensées, dans le bois encore sauvage de Vincennes. Réunissez tout cela et vous aurez au complet sa vie sévère d’étudiant jusqu’au jour où, son grade de docteur étant conquis, il fut choisi comme professeur d’histoire par les directeurs du collège Sainte-Barbe-Rollin.

Entre les diverses carrières qui s’ouvraient devant lui, Michelet avait adopté sans hésitation celle de l’enseignement. « J’eus le bonheur, a-t-il écrit, d’échapper aux deux influences qui perdaient les jeunes gens, celle de l’école doctrinaire, majestueuse et stérile, et la littérature industrielle, dont la librairie, à peine ressuscitée, accueillait alors facilement les plus malheureux essais. Je ne voulus point vivre de ma plume ; je voulus un vrai métier. »