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naquit dans le chœur de cette chapelle, le 21 août 1798. Les joies de l’enfance furent inconnues à ses premières années. La petite imprimerie avait vécu d’une vie assez prospère jusqu’à la suppression des journaux prononcée en 1800 par un décret du premier consul. A partir de cette date, les ouvriers l’abandonnèrent peu à peu, et les bras de ses propriétaires furent seuls à la faire marcher. Le grand-père de Michelet, de ses mains tremblantes, mettait les presses en mouvement. Sa mère, malade, se fit brocheuse, pliant, coupant les feuilles humides. Quant à lui, on le fit asseoir devant un casier plein de lettres, et on lui apprit à composer. Ce fut dans une cave humide, située en contre-bas d’un boulevard, éclairée seulement par un soupirail grillé, que Michelet passa ces belles heures du premier âge dont rien ne remplace la gaîté. Dans cette froide solitude, où ses petites mains gercées et raidies avaient peine à rassembler les lettres de plomb, il n’avait qu’un compagnon, et c’était une araignée. Chaque jour en effet, à l’heure où un rayon oblique du soleil, pénétrant par le soupirail, venait éclairer le bord du casier, une araignée sortait d’un recoin obscur de la cave et s’approchait pour tendre ses rets du petit compositeur. Celui-ci suivait d’un œil distrait les mouvemens prudens de l’insecte, tandis que son imagination vagabonde glissait le long de ce joyeux rayon, et, franchissant l’étroit soupirail, remontait avec lui jusqu’au monde extérieur, dont elle cherchait à se représenter l’éclat et les plaisirs ; midi passé, le rayon disparaissait, l’araignée rentrait dans son coin, et l’enfant demeurait solitaire en face de son ingrate besogne, soupirant après la lumière et la liberté.

Si rudes, qu’aient été les premières années de sa vie, Michelet n’en avait pas gardé un souvenir amer : « Riche d’enfance, d’imagination, d’amour peut-être déjà, je n’enviais rien à personne. » Ce fut quelques années plus tard, lorsqu’il dut entrer en contact avec les hommes, que commencèrent ses premiers déboires. A douze ans, son éducation était, comme on peut le croire, à peine commencée. Il avait pour unique précepteur un vieux magister de campagne, devenu libraire. Tous les matins avant de se mettre au travail, Michelet allait passer quelques instans chez lui et en rapportait un devoir latin qu’il achevait dans la journée. Ce n’étaient pas les seuls enseignemens qu’il reçût de son vieux maître. Cet ancien instituteur de village, mêlé à quelques-unes des scènes tragiques de la révolution française, animé des passions ardentes qu’elle avait suscitées dans les cœurs, contribua pour beaucoup à faire naître et à développer chez Michelet le respect idolâtre de la révolution et de ses héros.

Des notions éparses que recueillait ainsi sa jeune intelligence, Michelet faisait un usage indistinct et irréfléchi. Il lisait sans méthode