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race infatigable. Il y a surtout une question qui est de circonstance, même à côté des pompes de Philadelphie, celle de savoir quelle est la mesure réelle du progrès des idées, des mœurs, des institutions au-delà de l’Atlantique. La grande république a jusqu’ici triomphé de tout, des difficultés naturelles aussi bien que des complications de la guerre civile. L’extérieur est grandiose. Qu’y a-t-il sous ces apparences ? Depuis quelque temps, d’étranges symptômes se succèdent en vérité et semblent révéler une invasion croissante de corruption dans les mœurs publiques. Il y a quelques années déjà, si l’on s’en souvient, d’effroyables scandales étaient découverts dans l’administration municipale de New-York ; c’était une exploitation organisée de tous les intérêts publics ou privés, et malheureusement c’est un fait qui n’est point particulier à New-York, qui se reproduit, quoique avec moins d’éclat, dans beaucoup d’autres villes. Maintenant c’est dans l’administration supérieure, dans le gouvernement même que le mal est signalé. Tout récemment le ministre des États-Unis à Londres, le général Schenk, a été pris dans des affaires de mines, dans des organisations de compagnies fort équivoques, et il s’est trouvé placé dans une situation assez fausse pour être obligé de donner sa démission. Aujourd’hui c’est un ministre de la guerre, le général Belknap, qui est en jugement devant le sénat pour avoir trafiqué de ses fonctions, et le ministre de la marine risque d’avoir le même sort. Ce n’est pas tout : un des secrétaires du président, le général Babcock, vient d’être jugé pour avoir favorisé à prix d’argent des fraudes colossales sur l’impôt du whisky ; il a été mis hors de cause par un tribunal de Saint-Louis, mais il vient d’être ressaisi pour un autre fait, pour une suppression de documens, et voici le propre frère du président qui se trouve compromis dans un trafic de fonctions publiques. On ne sait plus où la démoralisation administrative n’a pas pénétré et jusqu’où elle peut aller.

Voilà le revers de cette belle médaille de la république américaine. Le mal existe, cela n’est point douteux. Un comité du congrès a déclaré crûment un jour, il y a déjà quelques années, qu’il était nécessaire de « renvoyer tous les voleurs du service public,… qu’on en trouvait aussi bien dans les petites fonctions que dans les grandes. » Le général Grant a dit lui-même dans un de ses messages qu’il fallait « protéger le pays contre les nombreux abus et le gaspillage des deniers publics… » Les partis se sont empressés de mettre dans leur programme la « réforme du service civil. » Pour tous, il est avéré que ce phénomène étrange de la démoralisation administrative et politique a fait des progrès inquiétans depuis nombre d’années. C’est un problème dont se préoccupent avec émotion les publicistes les plus éminens de l’Amérique, et que l’auteur d’un livre récent sur les États-Unis contemporains, M. Claudio Jannet, étudie à son tour, en invoquant surtout le témoignage des écrivains américains. Le mal qui frappe les esprits clairvoyans aux