Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

représentans ; il a usé de sa liberté, et le nouveau ministre qu’il enverra est toujours assuré de trouver parmi nous l’accueil qui est du à un plénipotentiaire de l’Italie. Le malheur de ces péripéties imprévues, un peu énigmatiques, c’est de prêter à toutes les interprétations, de provoquer tous les commentaires. Après tout, on ne peut pas oublier que le parti récemment arrivé au pouvoir à Rome ne s’est point précisément signalé dans ces dernières années par la chaleur de ses sentimens pour la France, et qu’un des griefs invoqués dans les journaux contre M. Nigra était justement la franchise cordiale de ses sympathies pour notre pays. De là une première impression dont le ministère italien ne peut pas s’étonner et que ses actes ne manqueront pas de dissiper, nous en sommes certains. Il n’est point sans doute arrivé au pouvoir pour modifier les relations de la France et de l’Italie, pour inaugurer une nouvelle politique extérieure à la place de la politique suivie depuis longtemps, et le nouveau ministre des affaires étrangères, M. Melegari, qui est un homme éclairé, tiendra certainement à montrer que rien n’est changé dans les rapports des deux nations. Peut-être Y a-t-il eu dans cette dernière affaire trop de petites combinaisons, trop de négociations secrètes avec les uns et les autres, et voilà l’inconvénient auquel il faut se hâter de couper court dans l’intérêt commun. En réalité, l’alliance de la France et de l’Italie n’est point une affaire de partis à Rome et à Paris, elle tient à des raisons plus profondes, plus nationales, plus durables, et plus que jamais elle est nécessaire au milieu de ces complications qui se dessinent vers l’Orient, qui ne laissent point d’avoir leur gravité, quoiqu’elles ne doivent pas sans doute aboutir de sitôt à la crise définitive.

Où en sont aujourd’hui en effet toutes ces affaires de l’Orient ? La vérité est qu’elles ne s’éclaircissent pas, que l’insurrection de l’Herzégovine est loin de s’apaiser, que la désorganisation et l’impuissance ne font que s’aggraver à Constantinople, et que l’embarras des gouvernemens européens qui se sont chargés de régler toutes ces questions n’est pas moins grand aujourd’hui qu’hier. Assurément, s’il n’y avait que la Turquie, le feu serait bientôt partout dans ces contrées orientales ; les Turcs, qui ne peuvent pas réussir à vaincre de malheureux insurgés, qui viennent d’essuyer une défaite en essayant de ravitailler une petite place de l’Herzégovine, les Turcs se mettraient encore en guerre avec le Monténégro, avec la Serbie. L’unique garantie de paix, et à la vérité elle est la plus efficace, c’est l’accord jusqu’ici maintenu entre les cabinets, particulièrement entre la Russie et l’Autriche. Cet accord se maintiendra-t-il jusqu’au bout ? Comment se manifestera-t-il maintenant pour arriver à une solution toujours fuyante ? La note du comte Andrassy n’a pu produire les résultats qu’on espérait. Il reste à savoir sous quelle forme les puissances concerteront leur action pour arriver à cette pacification de l’Orient aussi désirable que difficile à conquérir.