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ressaisir le plus tôt possible, dès la rentrée des chambres, et M. Ricard est plus que tout autre intéressé à gagner sa première bataille. Le ministère, il ne faut pas se le dissimuler, a besoin de cet acte de résolution pour assurer son crédit, pour garder l’autorité morale d’un gouvernement sachant ce qu’il veut. S’il avait la faiblesse de chercher, lui aussi, de petites combinaisons ou de se prêter aux combinaisons qu’on peut lui proposer pour masquer son refus de l’amnistie, il ne serait plus bientôt qu’un pouvoir diminué et incertain, sans initiative et sans prestige. C’est donc pour sa propre existence, pour son honneur qu’il va combattre, en réclamant la solution nette pour laquelle il s’est déjà prononcé, et franchement ce sera le meilleur service qu’il pourra rendre à la république elle-même, à ce nouveau régime dont il est le gardien depuis les élections. Pense-t-on en effet que la république aurait beaucoup gagné le jour où elle laisserait à ses adversaires la ressource de dire qu’elle a de secrètes et irrésistibles complaisances pour la commune, le jour où il serait démontré aussi que les républicains modérés sont réduits à subir les conditions des radicaux sans oser rompre avec eux ? Croit-on que les équivoques, les fausses apparences, les confusions qui résulteraient fatalement d’une solution marchandée et indécise, accréditeraient sérieusement les institutions nouvelles devant le pays, devant l’Europe ?

Cette question de l’amnistie, c’est aujourd’hui l’épreuve du ministère et dès républicains modérés. Si l’on veut faire de la république un régime régulier, durable, il faut absolument se décider à ne point soulever à tout propos les questions les plus dangereuses, à rassurer les sentimens conservateurs, à rompre avec certaines habitudes, à compter avec certaines traditions, à subir les nécessités de gouvernement ; il faut se résigner à n’être plus un parti présomptueux et agitateur. Malheureusement les républicains ont une faiblesse à laquelle ils ne savent pas toujours résister. Dès qu’ils ont la république, dès qu’ils sont la majorité, ils ne sont pas seulement satisfaits d’eux-mêmes, ils éprouvent le besoin de toucher à tout, même sans connaître les affaires, même quelquefois sans avoir la plus modeste expérience. La république est la grande magicienne qui donne du talent et de l’aptitude à ceux qui n’en ont pas. Aussitôt qu’elle apparaît, elle doit tout remuer, tout réformer, et marquer de son empreinte tout ce qui existe, finances, administration, diplomatie.

Qu’il s’agisse du personnel administratif, il faut évidemment se hâter de tout changer pour la satisfaction du parti, et au besoin même on exigerait des quartiers de noblesse républicaine pour les 36,000 maires de France comme pour les préfets ou les sous-préfets. La première marque de la capacité est une génuflexion devant une image de la république. Moyennant cela, on est apte à régenter un département aussi bien qu’une commune. Il y a pourtant un préfet récemment nommé, nullement suspect, qui a dit devant son conseil-général la parole la