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c’est précisément parce qu’on n’a pas su prendre un parti avant les vacances que l’opinion est restée indécise, sans direction et sans guide, que des questions irritantes, inopportunes ont gardé une apparence de gravité, que toutes les prétentions ont continué à s’afficher, et après tout mieux aurait valu ne pas laisser le mal se produire que d’avoir aujourd’hui à le réparer.

Pourquoi y a-t-il encore une question de l’amnistie, si ce n’est parce que le gouvernement a eu la singulière condescendance de la laisser subsister ? M. le ministre de l’intérieur n’a pas vu que, par la faiblesse qu’il a montrée à la dernière heure de la session, il perdait l’avantage de la fermeté qu’il avait témoignée d’abord. Il avait eu une victoire de raison politique ; par le vote de l’urgence, il avait maintenu l’autorité morale du gouvernement devant les chambres, devant le pays, et en définitive ce qu’il avait gagné par un éclair de résolution, il a risqué de le perdre par une tergiversation malheureuse au moment le plus décisif. Il a laissé aux partisans de l’amnistie un semblant de succès, un prétexte par l’ajournement, et lorsque aujourd’hui le ministère de l’intérieur publie des notes pour assurer que le gouvernement n’a pas changé d’opinion, qu’il est toujours contre l’amnistie, il s’expose à ce qu’on lui réponde qu’il n’a pas le droit de préjuger ce que décideront les chambres, que la question est restée ouverte avec l’assentiment du cabinet lui-même.

La question est restée ouverte en effet, et ce qui était bien facile à prévoir n’a pas manqué d’arriver. À peine les chambres avaient-elles quitté Versailles, une sorte de campagne a commencé. Les radicaux se sont hâtés de profiter de la circonstance pour reprendre leurs déclamations et leurs plaidoyers, comme s’ils gardaient l’espoir de convertir ou d’intimider l’opinion, de dominer le parlement par une pression extérieure. Tout leur est bon, même la mort d’une femme qui est restée étrangère à la politique pendant sa vie ; ils n’ont pas craint, ces organisateurs de manifestations populaires, de chercher dans les funérailles de Mme Louis Blanc une occasion de démonstrations, bruyantes pour l’amnistie, et M. Victor Hugo lui-même a été réduit à subir la protection d’un sergent de ville contre les indécentes ovations préparées pour lui autour d’une tombe, au milieu d’un cimetière ! Dans une réunion de la rue d’Arras, M. le docteur Robinet s’est chargé de développer l’exposé des motifs d’une longue pétition en faveur des insurgés de la commune, et ici du moins, avec M. le docteur Robinet, on sait à quoi s’en tenir. L’insurrection de 1871 a été une bataille où les responsabilités sont partagées ; peu s’en faut que les vainqueurs ne soient considérés comme ayant eux-mêmes besoin d’être amnistiés ! Les incendies sont dus à une intervention mystérieuse qu’on ne dit pas. Le massacre des otages n’est qu’une « représaille. » Les conseils de guerre ont fait œuvre de « bourreaux, » et dans tous les cas ils ont montré une « ignorance