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était tenu aux mesures préservatrices que lui commandait sa sûreté, s’il lui avait suffi d’affranchir l’école primaire de l’influence abusive du clergé et de faire une loi sur les biens d’église, d’en faire une autre sur les couvens et sur les ordres, de dissoudre nombre de communautés religieuses et de congrégations, il aurait encouru les censures de la curie romaine, il aurait été en butte aux-réclamations plaintives ou hautaines de l’épiscopat, mais les laïques ne se seraient pas émus. Les uns se seraient résignés, d’autres auraient approuvé. On se serait mis aux fenêtres pour regarder passer les événemens, après quoi chacun serait retourné à ses affaires. « Le gouvernement prussien, a dit un écrivain protestant, auteur d’une savante et judicieuse étude sur les rapports de l’église et de l’état, doit imputer le mauvais succès de ses lois ecclésiastiques non à l’opposition des évêques, mais à la résistance des populations catholiques. Que l’épiscopat combatte aussi longtemps qu’il le peut toute tentative de donner des bornes à sa puissance, l’histoire en témoigne, et on sait l’audacieux usage qu’il a toujours fait de sa devise : Il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. Toutefois il est trop avisé pour engager une guerre qu’il ne pourrait soutenir. Les évêques autrichiens ont réclamé et protesté contre les lois de 1874 ; quoiqu’elles eussent été condamnées par le saint-siège, ils ont fini par s’y soumettre, sachant bien que s’ils s’obstinaient dans leur résistance, ils ne pourraient compter sur l’appui des laïques. De même la hiérarchie n’est point entrée en campagne contre le petit royaume de Wurtemberg ; elle s’est soumise à la loi de 1862. Au contraire, les évêques prussiens ont refusé d’obéir aux lois de mai, parce qu’ils étaient persuadés que non-seulement le clergé, mais le peuple catholique seraient avec eux, et l’événement a prouvé qu’ils ne s’étaient pas trompés[1]. »

Les hommes d’état de Berlin ont outre-passé leur droit. Par les lois incohérentes, mal digérées qu’ils ont présentées au parlement, ils ont attenté à la fois à la liberté doctrinale et au pouvoir disciplinaire de l’église, et les consciences se sont émues comme une fourmilière qu’un passant s’amuse à inquiéter avec son bâton, — car il en est des consciences comme des fourmis, elles entendent qu’on les laisse en paix dans leur maison, elles ont horreur de l’étranger qui se mêle de leurs affaires, et l’état est pour elles l’éternel étranger. Les politiques de Berlin ont dit aux évêques : — Vous avez promulgué depuis peu un nouveau dogme qui nous est désagréable et qui peut avoir de fâcheuses conséquences. Si quelques-uns de vos prêtres refusent d’enseigner ce dogme, nous prenons sur nous de déclarer qu’ils sont d’aussi bons catholiques que vous, et, s’il vous plaît de leur infliger des peines

  1. Heinrich Geffcken : Staat und Kirche in ihrem Verhältniss. M. Geffeken a été autrefois ministre des villes hanséatiques à Berlin et à Londres ; il est aujourd’hui professeur à l’université de Strasbourg.