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6,000 canonniers dans ses nombreuses places qui tombent en ruine. À part les forteresses du Balkan, celles des Dardanelles et les forts des environs de Constantinople, les autres sont dans un état complet d’abandon : les pièces sont rouillées, mal tenues ou sans affût ; on les brûle ou on les vole ; il n’y a nul contrôle, nulle surveillance, et le matériel de transport fait défaut dans les arsenaux ; les routes qui communiquent d’une place à l’autre sont d’ailleurs dans un état déplorable, et aujourd’hui encore on peut voir dans les fossés de la célèbre forteresse de Belgrade une certaine quantité de pièces en parfait état, que les Turcs n’ont pu enlever lorsqu’ils ont évacué la ville par suite de la convention. Malgré des conditions aussi défavorables, il n’y a nul doute cependant que, le cas échéant, on verrait dans la défense des places se renouveler les prouesses de Silistrie, où des soldats mal nourris, mal payés, tinrent pendant des mois contre le feld-maréchal russe Paskévitch et contre l’habileté de Schidler, le premier général du génie de l’armée moscovite. S’ils recevaient l’instruction théorique qu’on donne aux troupes européennes, avec ce don particulier du coup d’œil que tout le monde leur reconnaît, les Turcs deviendraient des canonniers tout à fait exceptionnels.

J’apprends là quelques détails d’un ordre général sur l’organisation de l’armée turque et ses ressources. Jusque dans ces derniers-temps, toute réforme ordonnée par le sultan était calquée sur celles accomplies dans l’armée française, mais depuis nos revers de 1870 la Porte a pris l’Allemagne du nord pour modèle. L’ancienne armée a été complètement désorganisée, et la nouvelle n’a pas été constituée entièrement, l’état des finances n’ayant permis d’opérer les nouveaux changemens que dans les corps qui résident à Constantinople et autour de la capitale. Il résulte de cet état de choses, aux yeux des étrangers qui visitent la capitale, qu’en dehors de la Roumélie on ne trouve pas trace des améliorations qui ont été ordonnées.

C’est en 1869 qu’on a profondément modifié la constitution de l’armée afin de procéder à une réorganisation générale. Depuis cette époque, tous les musulmans sont soumis au service militaire ; ils doivent vingt années, dont quatre de service effectif dans l’infanterie de ligne (nizam), deux dans la première réserve (datyal), six autres dans la deuxième réserve (rédifs), et les huit dernières dans la troisième réserve (landsturm). En temps de paix, on ne compte certainement pas sous les drapeaux la moitié de l’effectif des nizams, et ceux qui veulent rester au régiment pendant le temps légal doivent servir comme remplaçons, car, malgré la prescription de la loi qui veut que tout mahométan soit soumis au service, ceux qui sont dans une position aisée se libèrent facilement ;