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personnelles de courage. Quelque partie du territoire qu’on traverse, on est sûr de rencontrer le zaptié faisant sa ronde, servant à la fois de courrier, de garde de police, d’agent politique. Ils passent parfois la frontière pour accomplir leur office. Au dernier automne, me rendant de l’Herzégovine à Spalato, les zaptiés qui accompagnaient notre caravane, composée de marchands qui portaient du café en Dalmatie, nous escortèrent jusqu’à la porte même de la ville, traversant le territoire dalmate dans toute sa largeur. Ces cavaliers sont vêtus d’un uniforme sombre et la fantaisie est banale de leur harnachement. Les chevaux sont laids de forme et ne paient point de mine, mais ils sont durs à la fatigue et fournissent un excellent service. En Bosnie et en Herzégovine, comme ils personnifient l’exaction et la rigueur ottomanes et représentent souvent l’exécuteur des œuvres du percepteur de l’impôt, les zaptiés sont haïs par la population. En temps de guerre, ils servent aux avant-postes et font surtout le service des patrouilles ; on peut en tirer le meilleur parti comme cavalerie légère.

Après quelques heures de marche en plaine, à un endroit nommé Sibic, nous quittons la grande route pour chercher le passage de la Verbaz. Jusqu’ici nous avons fait peu de rencontres, et le pays semble désert. De temps en temps passe quelque cavalier, officier supérieur régulier ou beg bosniaque, qui va voir ses colons, accompagné de serviteurs armés. L’étranger a peine à distinguer le civil du militaire parmi ces personnages d’un aspect martial et qui voyagent avec cet appareil guerrier. Nous croisons des files de chariots très bas à roues pleines, sortes de cages d’osier formées de claies traînées par quatre bœufs ; les paysans singulièrement accroupis dans le fond, le nez aux genoux, se rendent aux travaux des champs. Ils ne marchent qu’avec une avant et une arrière-garde de deux raïas montés sur des petits chevaux maigres à tous crins, portant le fusil en travers de la selle. Ces paysans psalmodient parfois des chœurs d’une mélodie courte, monotone et d’une tristesse particulière ; nous reconnaissons à quelle race ils appartiennent à l’attitude qu’ils prennent en croisant la colonne. S’ils sont chrétiens et raïas, leurs chants cessent dès qu’ils nous aperçoivent, et ils s’accroupissent davantage, ne laissant plus voir que le sommet de leur turban ; s’ils sont mahométans et Turcs, ils montrent une certaine curiosité, se lèvent dans le chariot et échangent parfois des lazzis avec les soldats. Toute la région que nous traversons a été visitée par les insurgés ; depuis le 18 août (jour où ils ont coupé le chemin de fer de Novi et les télégraphes des routes du nord) jusqu’aujourd’hui, ils ont été les maîtres de tout le triangle compris entre Kostaïnicza et Kosaratz. On vient seulement de les refouler de l’autre côté de la Verbaz ; aussi les villages sont déserts, et tout le