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ville, par quelle singulière contradiction les catholiques d’Herzégovine se sont unis aux raïas du rite oriental contre les Turcs, tandis qu’ici, dans cette partie de la Bosnie, les musulmans ne craignent pas d’appeler les premiers comme auxiliaires dans la répression de l’insurrection soulevée par les seconds. Le fait n’est pas nouveau, mais je n’en avais pas encore été témoin. Quoique la proportion entre le nombre des catholiques et celui des Grecs qui peuplent la Bosnie soit toute en faveur de ces derniers, cette circonstance révèle cependant de graves dissentimens qui désormais ne peuvent que s’accroître. Une telle disposition des catholiques doit déranger la combinaison de ceux qui cherchent la solution de la question des provinces slaves de la Turquie d’Europe dans l’union des populations sous le sceptre d’un prince de religion orthodoxe.

Sviniar, qui est le point vers lequel nous nous dirigeons, est célèbre dans l’histoire de l’insurrection. Au début du soulèvement, quand les Turcs, craignant de voir se propager la rébellion dans la Bosnie, prenaient leurs mesures pour lui enlever ses chefs probables, trente des plus riches raïas de cette ville ont été arrêtés au milieu de leurs familles ; on leur a fait subir une longue détention, et ils n’ont été rendus à la liberté qu’après avoir payé une rançon de 20,000 ducats. Les musulmans ont allégué pour prétexte à cette rigueur l’accueil fait par les raïas aux rebelles réfugiés chez eux. Ce fait s’est passé le 3 du mois d’août ; le 14, à la suite de nouveaux troubles du côté de Kostaïnicza, de nouvelles arrestations ont été ordonnées : le bruit s’en est répandu rapidement ; tous les villages voisins ont émigré dans la montagne, et les hommes en état de porter les armes ont organisé la résistance. Dans la nuit du 17 au 18, ils ont coupé le chemin de fer de Novi à Bajnaluka ; les musulmans ont répondu à cet acte des rebelles par de nombreux massacres qui ont été le signal du soulèvement pour toute cette partie du territoire. Pendant que les hommes valides prenaient les armes, les vieillards, les femmes et les enfans de ces contrées ont passé le fleuve et sont venus demander un asile à leurs coreligionnaires des confins militaires. Depuis cette époque jusqu’aujourd’hui les insurgés vivent dans la montagne ; la Bosnie n’a point été pacifiée, et les alertes sont fréquentes.

La colonne de renfort que je vais suivre, grâce à l’obligeante intervention des chirurgiens du camp, se compose des irréguliers, backi-bozouks à pied et à cheval au nombre de 150 à 200, d’un bataillon de nizams ou réguliers, qui compte à peine 200 hommes, de plusieurs bataillons de rédifs et de deux pièces d’artillerie, le tout commandé par un officier supérieur auquel on donne le nom de bimbasha ou commandant de 1,000 hommes. Quelques zaptiés ou gendarmes qui se rendent à Berbir se sont joints à la colonne.