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revenir dans leur pays sans s’exposer aux recherches des autorités maritimes, ils n’y apporteraient probablement pas de grosses épargnes. Fussent-ils même plus favorisés par le sort, le retour au pays ne leur offrirait aucun attrait. La politique attribue à la fondation de l’empire et à l’unification de l’Allemagne sous la loi prussienne le développement qu’a pris l’émigration depuis quelques années. D’autres causes président à ce mouvement de la population. On s’accorde généralement à regarder les lois qui favorisent la constitution de la grande propriété territoriale comme contribuant à diminuer la population. La loi tend à restreindre le plus possible le morcellement de la terre, et il est souvent très difficile d’acquérir des parcelles de terrain. La Prusse, pays d’aristocratie, combat la subdivision de la propriété ; c’est son rôle. L’Amérique, au contraire, où dominent les idées démocratiques, encourage les petits propriétaires, et elle a de la terre pour tout le monde ; c’est pourquoi les Allemands fournissent à l’émigration un contingent si considérable, et pourquoi cette émigration se dirige spécialement vers l’Amérique. Les marins y prennent part.

Certains duchés de l’ancienne Allemagne dont le territoire borde la mer sont particulièrement atteints. La diète provinciale d’Oldenbourg a, l’an dernier, proposé un projet de loi contre l’indivision des biens territoriaux, et le gouvernement impérial, dans l’intérêt de sa marine, paraissait disposé à se départir de son principe et à laisser aux possesseurs d’un domaine de noblesse le droit de disposer d’une partie de leurs terres. Tout cela n’indique pas que le moment de la réhabilitation du service de guerre à la mer soit venu pour les populations côtières. La marine est à la mode dans la noblesse, et il est de bon goût que les jeunes gentilshommes passent de brillans examens. Aussi le corps des officiers ne se recrute-t-il plus que dans des familles nobles. Le but du gouvernement impérial n’en est pas plus rapproché, au contraire. Il faut attendre que la population prenne goût au service. Le déficit des équipages est pourtant si inquiétant que le gouvernement a pensé à prendre des mesures pour forcer les parens à consacrer comme mousses leurs enfans à la marine. Cette violation de la liberté individuelle a paru cependant trop criante, et l’on y a renoncé.

Si la Prusse veut parvenir à posséder une marine, qu’elle ait de la patience, et qu’elle attende tout d’une organisation évidemment excellente ; mais la marine est une chose qu’on n’improvise pas. Du reste, si, comme il faut le désirer, la Prusse n’a pas des projets de nouvelles et prochaines conquêtes, elle n’a que faire de montrer tant de hâte. La paix est ce qu’elle doit souhaiter le plus pour atteindre son but.


PAUL MERRUAU.