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question est de savoir s’il ne serait pas préférable de s’en passer et si l’on ne découvrira pas quelque moyen moins coûteux de faire la guerre sur mer. Tout le mérite des inventions en matière militaire consiste à s’assurer la priorité. Quand on l’a perdue, l’invention ne vaut plus rien, puisqu’elle tombe dans le domaine commun. La priorité sera maintenant au gouvernement qui saura utiliser les torpilles agressives avant tout autre et qui s’empressera de s’en servir. Le lendemain, les cuirassés n’auront plus de valeur en mer, et les énormes canons n’auront plus de raison d’être. Les états de service des navires blindés ne sont pas si brillans qu’on ait à les regretter. Sans compter qu’ils coûtent de 10 à 11 millions, qu’ont-ils fait jusqu’à ce jour ? En Russie, les bâtimens anglais et français se sont avancés devant Cronstadt et n’ont pas pu l’attaquer. En Crimée, ils ont envoyé contre les forts de Sébastopol des volées de boulets qui leur ont été rendues avec usure, mais qui n’ont causé à l’ennemi aucun dommage appréciable. Notre escadre cuirassée vient d’échouer il y a quatre ans devant les ports de Kiel et de Wilhelmshafen. Elle n’a pas pu même bombarder le littoral, et cela malgré l’ardeur d’excellens équipages, officiers et soldats, qui plus tard ont donné à terre les preuves de la plus grande intrépidité. Que reste-t-il ? Un médiocre bilan, qui ne balance pas l’argent dépensé. Des marins d’une parfaite compétence et d’un grand mérite ont pris récemment la défense des cuirassés. Le rôle qu’ils leur assignent est à peu près le suivant : « arrêter au passage une escadre ennemie ; lui disputer l’empire de la mer, disperser cette escadre, empêcher les débarquemens de troupes et le bombardement des villes. » Supposons que la fortune lui soit contraire. Voilà les gros cuirassés désemparés, impuissans, chassés de la haute mer, relégués dans les ports pour s’y réparer, y renouveler les équipages et former une nouvelle escadre. Qui s’opposera aux débarquemens, qui protégera les côtes ? Les batteries de terre, les forts, blindés ou non, les monitors, et spécialement en France les bâtimens gardes-côtes, qui, n’étant pas destinés à naviguer en haute mer, peuvent être et sont en effet solidement blindés. À ces moyens de défense si l’on ajoute les torpilles, les bateaux-torpilleurs, les chaloupes canonnières, quel emploi reste-t-il aux vaisseaux cuirassés ?

Toutes ces questions se discutent en ce moment entre les défenseurs des faits accomplis et les partisans d’une marine nouvelle. Ces opinions, qui se croisent, indiquent une époque de transition pendant laquelle il faut montrer beaucoup de prudence. La discussion qui porte sur les cuirassés et sur les vaisseaux d’escadre se complique de considérations sur l’état actuel de l’artillerie de terre et de mer.

En mer, le principe qui consiste à placer à bord des canons d’un