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En attendant la solution de ces questions, on se demande s’il n’est pas imprudent et peut-être inutile de créer toute une flotte au moment même ou de tels problèmes sont posés, où la transformation radicale des marines est menaçante, où l’on ne sait si les expériences et les découvertes de demain ne vont pas détruire tout ce qui existait hier, et réduire les plus récentes machines de guerre maritime à l’état de matériel de rebut ? Ces problèmes sont nombreux et complexes. Les questions s’enchaînent et naissent les unes des autres ; les torpilles n’en sont qu’un des anneaux, l’artillerie et le blindage en forment d’autres.

Le duel de la cuirasse et de l’artillerie, qui dure depuis des années, continue avec un acharnement qui tourne à l’absurde. M. Armstrong s’engage à faire des canons qui perceront toutes les plaques. D’autres promettent de faire des plaques qui résisteront à tous les canons. À mesure que les canons deviennent plus puissans, les plaques deviennent plus épaisses ; mais, comme il arrive toujours, l’antagoniste passif ne pourra probablement pas résister à l’assaillant. L’épaisseur qu’on peut donner à une plaque de fer est en quelque sorte sans limites, mais à bord d’un navire elle est bornée par le poids. Un blindage trop lourd rendrait un bâtiment inerte et paralyserait ses mouvemens, si même il ne l’exposait à sombrer. Les cuirasses ont été portées au maximum de leur puissance possible et proportionnelle aux bâtimens qu’elles couvrent. Comme ce maximum est insuffisant contre l’artillerie actuelle, on a cherché, dans l’allongement des navires, un moyen d’augmenter sans danger le poids de l’armement ; mais cet allongement ne pouvait être indéfini et avait d’ailleurs pour effet de ralentir les mouvemens. Cet expédient n’a donc pas suffi ; on y a renoncé. Les nouveaux modèles ont été raccourcis. Maintenant on recherche les moyens de diminuer le poids de la carapace tout en continuant à protéger les parties vitales du navire, particulièrement la machine et le gouvernail. La solution de cette difficulté n’est pas encore trouvée. En attendant, des esprits hardis affirment que le blindage des navires a fait son temps. Mieux que cela, ils ajoutent que le rôle du cuirassé d’escadre est terminé. La guerre d’escadre en ligne de combat compte des adversaires parmi les marins, surtout s’ils croient que le nombre trop supérieur des vaisseaux d’une autre marine, surtout ceux de la Grande-Bretagne, avec qui, Dieu merci, nous n’avons pas maille à partir, ne permet pas d’espérer la victoire définitive dans une longue lutte. Cette idée n’est pas née d’hier et n’a pas attendu la question embarrassante des vaisseaux cuirassés pour se produire. Un marin, jeune alors, ardent et amoureux de sa noble profession, en publia l’exposé plein d’éloquence à une époque où il s’agissait d’augmenter notre flotte en construisant