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de Cherbourg. La marine prussienne n’a pas respiré cette fumée. À l’exemple des gros cuirassés et des, nombreuses canonnières qui se tenaient renfermés dans les deux arsenaux de la Baltique et de la Mer du Nord, les corvettes stationnées au loin se sont tenues, la Hertha et la Medusa au Japon, l’Arcona aux Açores, le Meteor à la Havane. Faisons cependant une réserve pour ce dernier bâtiment, qui, ayant cru pouvoir se hasarder à la lutte contre le navire le Bouvet, fut, en moins d’une heure, désemparé de sa mâture et obligé de se réfugier sous les canons espagnols.

Ce n’est pas tout de construire des ports pour y remiser une marine ou de mettre cette marine dans la nécessité de demander à des étrangers leur patronage pour éviter de combattre. Il faut que la marine nationale puisse arborer son pavillon au grand jour et qu’elle soit assez forte pour affronter la lutte en pleine mer. Le gouvernement prussien l’a bien compris, et il agit en vue de préparer à sa flotte un rôle plus actif et plus brillant à la prochaine occasion.

Il était doublement instruit par le passé, et il avait reçu un premier avertissement à l’époque où il faisait la guerre pour la querelle du Slesvig-Holstein. Le Danemark, pays si petit et si faible, qui se défendait avec toute l’énergie d’un ferme patriotisme, avait fait bien du mal à son colossal adversaire. Il avait bloqué toute la côte et frappé au cœur le commerce allemand. Les rivages et les îles du Danemark sont habités par une population de pêcheurs, marins rudes et endurcis, qui forment d’excellens équipages. Aussi le royaume possédait-il une marine respectable où l’on comptait de grosses corvettes fort bien armées et quelques bâtimens de plus haut bord. La Prusse n’y pouvait alors opposer que des canonnières et de faibles corvettes. Aussi n’eut-elle point l’avantage sur mer. Après le démembrement de la monarchie danoise, elle voulut mettre à exécution la pensée de créer une marine ; mais c’est une œuvre très coûteuse. La Prusse était pauvre, et les états de l’Allemagne refusaient de s’associer à la dépense. Les hésitations durèrent jusqu’en 1867. À la suite de Sadowa, la Prusse avait une telle position qu’on n’avait plus rien à lui refuser en Allemagne ; elle résolut de passer outre et de commencer la flotte projetée.

Le ministre de la guerre, qui cumulait cette fonction avec celle de ministre de la marine, présenta au Reichstag un rapport contenant demande d’un crédit extraordinaire de 187 millions pour la construction d’une flotte et l’achèvement des ports. Il définissait en ces termes la tâche de la marine prussienne : « Elle est appelée, disait-il, à protéger et à représenter le commerce de la Prusse sur toutes les mers, à en favoriser l’extension, à en soutenir les droits ; elle est chargée de la défense des côtes et des ports dans la Baltique et dans la Mer du Nord ; elle a pour mission de