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donne l’idée de la franchise ; voilée, hésitante, traînante, elle fait craindre la dissimulation ; dure, âpre, sèche, elle paraît dénoncer un mauvais caractère ; douce, harmonieuse, elle touche comme si elle était le souffle d’une âme bonne, encline à d’infinies délicatesses. Les impressions que procure la voix en général assez justement ressenties, ont une influence dans les relations ; pourtant, il ne faut pas trop s’y fier. La parole peut servir sans doute à déguiser la pensée, mais aussi l’instrument peut avoir une qualité trompeuse, un défaut qui jette dans l’erreur. Après les effets de la nature, il y a les effets de l’art. Tel orateur, dominé par le désir de se faire bien entendre et surtout de produire une grande sensation, ouvre largement la bouche et tire des cavités de résonnance tout ce qu’il est permis d’en obtenir ; c’est le ton déclamatoire réprouvé par le bon goût. Que la bouche très ouverte, le souffle vigoureux, les mots retentissent avec éclat, la voix devient impérieuse ; c’est le ton nécessaire de l’homme d’armes qui commande une manœuvre. Des paroles simples en elles-mêmes, lancées d’un ton sec et brusque, prennent un caractère offensant ; personne ne s’y trompe, une vieille formule populaire l’atteste, Que les sons émis avec douceur, un peu de tremblement, une lenteur calculée, tombent par une insensible dégradation, la voix sera peut-être touchante ; on assure qu’il y a des femmes d’une habileté incomparable pour rendre ainsi la prière irrésistible. Les historiens affirment que chez Cicéron, la grâce de la prononciation contribuait singulièrement à donner à ses paroles la force de persuader. L’orateur doué d’un bel organe et possédant l’art de prendre le ton le mieux en harmonie avec la nature des scènes qu’il retrace, avec les sentimens qu’il exprime, avec les passions qu’il agite, causera des tressaillemens que n’amènerait jamais le plus magnifique discours sortant d’une bouche inhabile. Par d’heureuses qualités de la voix, l’éloquence devient tout à fait entraînante ; alors c’est l’éloquence qui attire aux lèvres d’Alain Chartier le baiser de Marguerite d’Ecosse, c’est la grande voix de Bossuet faisant, céder la foule à une poignante émotion, lorsque sous les voûtes de Notre-Dame, où se dresse le catafalque de Condé, elle appelle peuples et princes à « voir le peu qui reste d’une si auguste naissance, de tant de grandeur, de tant de gloire. »


III

Non-seulement l’homme crie ou parle, mais encore il chante. Au sein des sociétés que l’éducation soumet à des règles, le chant appartient au domaine de l’art ; on l’écoute sans jamais le pratiquer. Dans la forme plus ou moins primitive, il ne cesse de se