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Des sons que représentent les lettres de l’alphabet, voyelles et consonnes, existent dans tous les dialectes du monde. Aux yeux de certains linguistes, c’est l’indice d’une communauté d’origine ; pour les naturalistes, c’est l’effet inévitable des actes de l’organe dont la conformation varie d’une manière à peine sensible entre les races qui se partagent la terre. Les différens idiomes se montrent néanmoins pauvres ou riches d’intonations. À cet égard, si les langues des nations barbares sont au dernier degré, celles des peuples parvenus à la plus haute civilisation ne tiennent pas nécessairement le premier rang. L’hindoustani se distingue par une abondance de consonnes sans égale ; les langues sémitiques l’emportent sur le grec et le latin comme sur les langues modernes de l’Europe ; les dialectes de la Polynésie fournissent l’exemple de la plus grande misère. On rapporte que les Hurons et les Mohawks de l’Amérique septentrionale, qui par habitude tiennent constamment la bouche ouverte, ne connaissent pas l’usage des labiales, ces articulations pour nous si naturelles que volontiers on les supposerait venir d’instinct aux plus jeunes enfans. Divers peuples évitent l’emploi des lettres sifflantes ou des trilles[1] ; d’autres n’admettent point de gutturales. Il y a nombre d’années, les préférences pour la rudesse ou pour la douceur du langage nous semblèrent attester que ni les organes de la voix, ni les perceptions auditives, ne sont absolument identiques dans toutes les races d’hommes[2] ; les observations et les expériences si multipliées à l’époque actuelle donnent une nouvelle force à cette probabilité. Plus de lumière ne saurait jaillir que d’études comparatives de l’ordre physiologique. On sait combien est invincible la difficulté de rendre certains sons d’une langue étrangère ; aussi, toujours les mots s’altèrent en changeant de patrie. Les Chinois substituent invariablement au trille rude le trille doux[3], et cette substitution est habituelle chez d’autres peuples. Les nations polynésiennes remplacent les dentales par des gutturales[4], et les missionnaires qui se font les instituteurs de la jeunesse des îles Hawaï ont du renoncer à obtenir les sons que nul individu ne parvient à émettre. Il n’est guère plus facile de bien entendre que de bien imiter les articulations étrangères à sa propre langue ; presque jamais les voyageurs ne rapportent de la même manière les noms recueillis de la bouche des indigènes. Différences de la voix, différences de perception auditive, dépendent-elles un

  1. F, s, z et i, r.
  2. Voyage au pôle sud et dans l’Océanie, sous le commandement de M. Dumont-d’Urville. — Anthropologie, par M. Emile Blanchard. Paris 1854.
  3. L pour r, — Eulope au lieu d’Europe.
  4. Les d par les g, les t par les k. — Ce changement de prononciation n’est pas rare dans quelques-unes de nos campagnes.