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de plus en Europe ! Et probablement aussi, comme on l’a dit, il y aura un vice-empereur des Indes ! C’est décidé désormais par l’autorité du parlement, il ne manque plus que la sanction de la reine : M. Disraeli a fait des empereurs ! Mais évidemment il ne s’était pas rendu compte de la portée de l’acte dont il a pris l’initiative, pas plus que des résistances qu’il allait rencontrer. La vérité est que, si au premier moment de cette révélation inattendue il y a eu une certaine surprise, l’étonnement n’a pas tardé à se changer en mauvaise humeur, et bientôt une opposition des plus vives a éclaté avec une sorte de spontanéité inquiétante. L’opinion s’est émue de cette innovation, qu’elle ne comprenait pas, dont elle ne sentait pas du tout la nécessité, qui touchait aux traditions et aux habitudes de l’Angleterre. A Manchester, à Liverpool, à Leeds et dans bien d’autres villes, il y a eu des meetings pour protester contre la motion ministérielle, et les quolibets n’ont pas manqué, — ils ont même dépassé quelquefois la tête du chef du cabinet. Dans la chambre des communes, la discussion a été laborieuse, animée ; l’opposition est devenue contagieuse, et en fin de compte, au dernier moment, la majorité n’a plus été que de 46 voix. Dans la chambre des lords elle-même, des hommes comme le comte de Granville, le duc de Sutherland, lord Gower, lord Houghton, n’ont pas caché leur mécontentement. Lord Shaftesbury a même proposé une adresse pour prier la reine de ne pas prendre ce titre d’impératrice antipathique au sentiment anglais. C’est là manifestement ce que M. Disraeli n’avait pas prévu, et, comme il arrive toujours, une fois la première faute commise, il est allé de faute en faute, il a épuisé sa dextérité à déjouer les difficultés sans réussir à éviter les pièges. Il a commencé par ne parler de cette addition de titre que d’une manière vague, sans rien préciser. Quand il a fallu en venir au fait, il s’est efforcé d’atténuer ; il a déclaré que rien ne serait changé, que la reine serait toujours la reine en Angleterre, qu’elle ne serait l’impératrice qu’au dehors, dans l’Inde, — ce qui a fait dire par un membre du parlement que c’était comme « les médicamens pour l’usage externe. » M. Disraeli a couronné enfin sa campagne par la plus singulière des légèretés, par une imprudence qui a dépassé toutes les limites de la fantaisie. Pour faire accepter sa motion, il l’a représentée comme une sauvegarde pour l’empire de l’Inde, comme un moyen d’arrêter la Russie dans sa marche en Orient ! La raison n’a été inoffensive que parce qu’elle n’a pas été prise au sérieux, parce qu’elle a passé pour une figure de rhétorique, même à Saint-Pétersbourg. Il s’ensuit que, si M. Disraeli a enlevé son titre, il reste avec une de ces victoires qui compromettent une cause et ceux qui la soutiennent.

La première et la plus grave de toutes les fautes assurément a été de livrer pendant quelques semaines à un débat public, aux agitations de l’opinion cette question de la royauté. Personne en Angleterre ne songe