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l’irrégularité d’un scrutin, les illégalités ou les fraudes caractérisées qui ont été commises. Au-delà, elle dépasse son droit, elle entre dans l’arbitraire le plus complet. C’est là malheureusement un danger que les républicains ne redoutent pas assez ; ils ont le sentiment de leur infaillibilité !

Depuis qu’ils sont la majorité, ils ne doutent plus de rien ; ils sont si naïvement satisfaits d’eux-mêmes qu’ils se croient positivement tout permis, qu’ils portent la main sur tout sans se demander s’ils ne confondent pas quelquefois tous les pouvoirs, toutes les notions de gouvernement, si leur inexpérience ne joue pas avec les intérêts du pays. Ils cassent arbitrairement des élections dans la chambre ; au besoin, dans une simple commission d’enquête électorale, ils mandent M. le garde des sceaux pour le sommer à brûle-pourpoint de s’expliquer sur l’enseignement de la déclaration de 1682 et des articles organiques dans les séminaires, et ils ne font aucune difficulté de transformer en président de la commission du budget M. Gambetta, — qui trouvera là du moins une occasion de perfectionner son éducation financière un peu négligée. Encore un peu, nous aurons M. Floquet comme rapporteur du budget des affaires étrangères, M. Germain Casse pour interroger les évêques, et M. Barodet a déjà fait son programme ; il ira demander à M. Léon Say de lui céder sa place pour entreprendre enfin une série de réformes financières et administratives en vingt articles : fixation du maximum des traitemens à 20,000 francs, suppression de l’état-major des ministères, suppression du personnel diplomatique, suppression de 175 tribunaux et de 10 cours d’appel, suppression des sous-préfectures, des bureaux de poste « qui fonctionnent mal, » etc., etc. Ils ont des airs de maîtres, ils ne seront pas contens de M. le duc Decazes s’ils n’ont pas quelques ambassades, ils disposent des préfectures, ils envoient, eux aussi, leurs députations de « bonnets à poil » à M. le ministre de l’intérieur ! Eh bien ! franchement, si l’on continue, si c’est ainsi qu’on prétend faire prendre au sérieux la république, on s’expose à des déceptions amères ; on donne une représentation dangereuse, et ce qu’il y a de plus terrible, c’est que, s’il y a une majorité pour entrer dans ce jeu, pour laisser passer ou favoriser quelques-unes de ces tentatives, il n’y a plus de majorité pour une question essentielle, pressante, ou bien la majorité se retrouve — pour prononcer l’ajournement !

C’est en vérité ce qui vient de se passer pour l’amnistie, et, chose plus singulière, le gouvernement lui-même a sa part dans l’ajournement. Rien n’est certes plus curieux que cette histoire d’une amnistie dont personne ne veut et sur laquelle tout le monde hésite à dire le dernier mot. Lorsqu’il y a trois semaines les propositions étaient portées par- M. Victor Hugo au sénat, par M. Raspail à la chambre des députés, le ministère prenait résolument position en demandant