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la lettre et l’esprit, le cadre et le fond, ce qui lui revient en propre et ce qui fait la part d’autrui. L’idée première évidemment est empruntée à notre Erckmann-Chatrian : le choix de l’époque et du sujet, le ton général du récit, et, si l’on peut dire, une certaine parenté dans les théories, attestent l’imitation ; il n’est pas jusqu’au titre lui-même, Episodios nacionales, qui ne rappelle tout à fait celui des Romans nationaux, — un terme assez mal choisi, soit dit en passant, et qui ne méritait pas d’être reproduit. Où la distinction commence, c’est quand, au lieu de plusieurs récits séparés, nous trouvons une intrigue unique faisant le lien des dix volumes. Le héros, qui est aussi le narrateur supposé de cette longue histoire, n’a pas aujourd’hui moins de quatre-vingt-trois ans ; il s’est vu mêlé de près aux faits et aux hommes les plus considérables de son temps, et sur la fin de sa carrière il entreprend de rédiger ses mémoires, et de fait son odyssée est assez singulière. Pauvre orphelin abandonné, Gabriel Lopez a débuté dans la vie comme page, ou plus simplement comme domestique ; nous le voyons servir tour à tour un ancien officier de marine, une actrice en vogue, une grande dame. Du reste il se sent déjà des velléités d’ambition et rêve d’honneurs et d’emplois ; en attendant, comme son cœur est plus modeste ou plus timide que sa tête, il se contente d’aimer une jeune fille de sa condition, une simple ouvrière qu’il veut épouser. Or, admirez l’occurrence, cette jeune fille est une enfant abandonnée dont on apprend tout à coup la haute origine, et, nouvelle surprise, sa mère n’est autre que la comtesse dont Gabriel a porté la livrée. Vous imaginez sans peine les inquiétudes et les traverses des deux amans, tantôt séparés par les exigences aristocratiques d’une famille impitoyable, tantôt réunis par la constance et les efforts du vaillant jeune homme. Les péripéties se succèdent, les imbroglios se nouent et se dénouent, les personnages vont, viennent, s’entre-croisent avec une rapidité, une aisance qui tient du merveilleux. Pourtant cette richesse d’invention est peut-être plus apparente que réelle ; à mesure qu’on avance dans le détail de l’intrigue, il semble que tout cela, incidens et acteurs, ait quelque chose de déjà vu ; on est comme en pays de connaissance. Évidemment M. Perez Galdós s’est inspiré de ces romans de mœurs si particuliers, Lazarille de Tormès ou Guzman de Alfarache, qui sont un des côtés le plus connus de la littérature d’outre-mont, et dont Gil Blas de Santillane, tout écrit qu’il est par un Français, passe à bon droit pour le plus parfait modèle. Voilà bien en effet cette éternelle autobiographie d’un pauvre diable parti du plus bas de l’échelle et s’élevant par une suite d’aventures extraordinaires jusqu’aux plus hautes dignités de l’état ; — et toujours des histoires d’enfans abandonnés, de papiers perdus et retrouvés, de maris disparus réapparaissant après dix années d’absence, toujours des amours de comédiens, des intrigues de cour, des scènes de débauche, des enlèvemens, des duels, tout l’attirail classique et démodé de