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elles y doivent être d’ailleurs très prudentes et par suite peu productives. Une éclaircie forte dans un massif de sapin suffit parfois à en amener la ruine en peu d’années ; on en voit les arbres tomber ou dépérir successivement. Les éclaircies sages, effectuées en vue de l’amélioration des sapins en croissance, doivent rester à chaque passage incomplètes, ne prenant les tiges surabondantes qu’une à une, desserrant partiellement les cimes et respectant les sujets dominés. Ceux-ci contribuent de la manière la plus heureuse à maintenir sur le sol une fraîcheur indispensable, tout en donnant de la consistance au massif, et si, à un moment ou à un autre, le sapin dominant vient à périr, ce qui n’est pas rare, le sujet dominé s’élève rapidement pour prendre place au soleil. De même encore, les coupes de régénération prudentes n’arriveront que graduellement à isoler les vieux arbres : elles resteront longtemps faibles et, à vrai dire, partielles ; elles porteront d’abord sur les cimes les moins développées, réservant les arbres les plus forts, conservant bien pleines les lisières du canton, puis encore elles ménageront avec soin les semis ou jeunes sujets de résineux préexistans, qui formeront bientôt les meilleurs élémens du recrû. Sous les massifs âgés, il y a presque toujours de petits sapineaux clair-semés, peu apparens. Parfois, après s’être hâté d’exploiter le massif, on trouve le terrain partiellement occupé par ces jeunes plants, et l’on peut être tenté d’en conclure que les coupes rapides, claires, sont bonnes pour la reproduction du sapin. Ce serait confondre la production avec le développement du semis.

La forêt communale de Mandray, dans les Vosges, est une de nos sapinières les plus régulières. Elle se trouve à 600 mètres d’altitude, sur le versant nord d’une petite montagne de gneiss, entre Saint-Dié et Fraize. Les peuplemens uniformes s’y succèdent et charment la vue. Ce sont de hautes futaies de sapin, des perchis au couvert obscur, de jeunes bois en massifs impénétrables, tous bien venans et portant témoignage que les éclaircies fortes y sont inutiles. Dans la sapinière, il n’y a donc à choisir qu’entre les deux modes de traitement du jardinage ou des éclaircies. Suivant le cas, c’est l’un ou l’autre qui est préférable ; mais le point essentiel est dans l’application plus que dans le choix du mode de traitement. L’un ou l’autre mode offre dans la pratique des difficultés réelles ; l’un et l’autre demandent de l’expérience et présentent des dangers. La forêt peut être rapidement dégradée, si les coupes jardinatoires ne sont pas modérées et diffuses, ou si les éclaircies ne sont pas lentes et faibles. La sapinière est la plus délicate de toutes nos forêts. Il faut deux générations d’arbres pour la constituer, car elle ne se produit pas de prime-saut sur un sol nu ; il suffit d’une exploitation aventureuse pour la détruire en Y donnant accès au soleil ou au