tard pour rassembler la flotte. C’est en vain que la fille de Henry VIII souhaite de ressembler à son père, ne fût-ce que pour une heure : il ne lui reste plus qu’à mourir. Son nom va passer en proverbe et devenir la fable du monde. Tout s’en va, n’est-il pas temps qu’elle s’en aille à son tour ? La scène est déjà célèbre en Angleterre ; toutes les revues l’ont citée, le crayon la rendra sans doute populaire. Ce qui en fait la beauté, c’est que l’auteur a su tenir son héroïne en équilibre sur la limite vacillante qui sépare la raison de la folie. L’intelligence de la reine sombre en quelque sorte sous le fardeau de ses chagrins, le délire apparaît ; seulement ce que le poète en montre reste poétique sans devenir banal. Cette femme hystérique, hagarde, aux traits naturellement ingrats et que la souffrance n’a pas embellis, il faudrait peu de chose pour en faire un objet d’horreur ; il fallait beaucoup d’art pour en faire un objet de pitié. Comment concilier la vérité historique, qui est dure, et la délicatesse d’un goût qui fuit les situations repoussantes ? « Marie, dit M. Froude, passait la plus grande partie de son temps à répondre aux lettres cruelles que lui envoyait Philippe, se renfermant dans la solitude, ne se confiant qu’à Pole et ne voyant que ses femmes. Elle avait perdu tout empire sur elle-même, Quand elle paraissait en public, c’était pour y laisser éclater les transports d’une passion violente qu’elle ne savait plus maîtriser. » On la voyait plongée dans son désespoir, rester assise à terre pendant de longues heures, les genoux ramenés à la hauteur du visage. Nuit et jour, elle errait comme une ombre dans les galeries du palais, ne sortant de ses rêveries que pour écrire à son mari des lettres tachées de larmes. On en a retrouvé une, péniblement griffonnée, où l’amertume de son âme se fait jour à travers les formules de respect sur lesquelles elle renchérit à force de ratures pour ne point blesser l’homme dont elle espérait encore le retour. Voilà l’histoire, voici la poésie. Pole a pris congé de la reine, qui est restée avec ses femmes. Celles-ci s’efforcent de la distraire, de la tromper. L’Angleterre, malgré tout, n’est-elle pas fidèle à sa souveraine ? mais Marie ne veut pas être consolée :
Mon peuple me hait et désire ma mort.
Non, madame, non.
Mon mari me hait et désire ma mort.
Non, madame, ce sont ces billets injurieux qui le disent.