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tous ; c’est la fin de sa tragédie à elle qui s’annonce, et les mauvaises nouvelles éclatent sur son cœur comme les volées d’un glas suprême. Il n’y a rien dans toute la pièce de plus lugubre que ce spectacle d’une reine désolée qui voit ses dernières espérances s’effeuiller une à une et qui se sent mourir après elles. Dans le cinquième acte, nous assistons à l’écroulement de l’échafaudage artificiel construit par Marie. Ce n’est pas du dehors que vient le châtiment ; c’est la politique d’une part et la passion de l’autre qui se retournent contre elles-mêmes pour se dévorer. La moralité de la pièce réside dans ce cinquième acte vengeur, et le poète n’a eu qu’à la tirer de l’histoire. Le plus grand peut-être de tous ces coupables, parce qu’il était le plus intelligent, a quitté la scène du monde le premier. Gardiner est mort en disant, mais trop tard : assez de supplices, et la justice populaire lui a fait cette épitaphe ironique : « Il est mort, il a été enseveli, il est descendu aux enfers ; n’en parlons plus. » Philippe est parti malgré les supplications de la reine, sans cacher au comte de Feria qu’il a trouvé sa femme bien vieillie, et qu’il serait tout disposé à offrir sa place, quand elle sera vide, ce qui ne peut tarder, à Elisabeth elle-même. Pole continue à combattre pour la foi, mais le successeur de Jules III vient de le frapper au cœur. Il lui a ôté son titre de légat, il a fait mieux encore, il l’a cité à Rome devant l’inquisition, pour cause d’hérésie, visant dans sa personne Philippe et Marie à la fois. Le chimérique cardinal ne comprend plus rien aux choses humaines. Il accourt chez la reine et laisse déborder les flots de sa douleur. Être appelé hérétique, lui qui a dépassé Gardiner en zèle, qui s’est dépassé lui-même pour la cause de Dieu, si bien qu’on ne le nomme plus maintenant que le fléau et le boucher de l’église d’Angleterre ! Marie cherche à le consoler, inconsolable elle-même, et il y a quelque chose de poignant dans la conversation de ces deux êtres écrasés sous la roue qu’ils ont mise en mouvement.

Dans l’abîme de tristesse où Marie s’enfonce, le poète a ménagé des degrés. L’épouse de Philippe se sait négligée, mais elle ignore que son peuple le sait comme elle. En se retirant, Pole a laissé par mégarde tomber un de ces billets injurieux que des mains inconnues sèment partout ; il ne contient que ces mots : « votre peuple vous hait comme vous hait votre mari. » En même temps, la reine n’est pas moins frappée que l’épouse, car le successeur de Gardiner, Nicholas Heath, vient lui apprendre que Calais est au pouvoir des Français. Pendant que Marie, tout entière à sa passion et aux intérêts de l’église, oubliait de renforcer la garnison de la ville menacée, le duc de Guise s’en est emparé. Il est trop tard maintenant pour armer tous les hommes valides de seize à soixante ans, trop