Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/901

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’empereur et roi futur, a suffi pour commencer le charme ; une miniature a fait le reste. Elle ne se lasse pas de contempler la barbe blonde du prince espagnol, de louer sa beauté à ses filles d’honneur, qui ne sont pas toujours de son avis, et même à Gardiner, qui trouve que son protégé Courtenay est aussi bel homme et ferait bien mieux l’affaire de l’Angleterre. L’ancien secrétaire de Wolsey joue dans ce drame un rôle terrible, quoique moins terrible encore que dans l’histoire. La prison où il avait passé tout le temps du règne d’Edouard n’avait point adouci sa violence naturelle. Il était revenu au pouvoir exaspéré par l’injure, et bien résolu à user de son empire sur la reine pour faire triompher sa cruelle politique et pour assouvir ses haines. Tout exécrable qu’il fut, on ne pouvait lui refuser le mérite d’être un rude travailleur et de voir clair toutes les fois que la passion ne lui troublait pas le jugement. Il aurait volontiers fait mettre Elisabeth à mort avec les formes de la loi, ou sans elles au besoin, parce qu’Elisabeth personnifiait tout ce qu’il haïssait au monde ; mais il sentait combien était impopulaire l’alliance où Marie avait attaché son cœur. Il ne craint pas de le lui dire en face. Il lui représente avec force la faute qu’elle va commettre, le danger qu’elle court à défier ainsi le sentiment de toute l’Angleterre. Marie répond comme répondent ordinairement les princes obstinés qui ne veulent pas voir l’évidence. Elle fait une distinction entre le pays et les partis, qui, dit-elle, ne le représentent pas.

Gardiner n’est pas plus heureux lorsque, désespérant de la prendre par la raison, il s’adresse à sa fierté et lui fait entendre qu’en épousant Philippe elle s’expose à devenir la belle-mère d’enfans nés en Flandre et ailleurs. Tout ce qu’il y gagne, c’est d’avoir irrité sa maîtresse et risqué sa place comme un sot. Au chancelier succède l’ambassadeur de France, qui touche la même corde, mais avec plus de délicatesse, comme il sied à un diplomate de la vieille école, et sans un meilleur succès. Voici enfin Simon Renard, l’envoyé espagnol. Celui-là, il est le bienvenu. Il le serait encore davantage, s’il apportait une lettre du bien-aimé ou même de l’empereur. La vérité est que le bien-aimé n’était pas pressé de débarquer dans un pays où on lui avait recommandé sur toutes choses d’amener son cuisinier avec lui, pour une raison qu’il n’est pas difficile de deviner au XVIe siècle, Quant à Charles-Quint, il différait encore la demande formelle si impatiemment attendue. Entre le silence du père et l’indifférence du fils, la position de l’amante rappelle un peu celle du chasseur d’ours de la fable ; mais en amour, si tout est de bonne guerre, rien non plus n’est ridicule. Sous l’empressement de Marie, extraordinaire même pour