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quel point elle serait portée, quel objectif nouveau elle se proposerait ; et c’est là que tous les intérêts se rencontraient dans un conflit à demi voilé entre les influences pacifiques et les influences belliqueuses. La Russie semblait désormais disposée à payer la rançon de sa défaite par des concessions en Orient. L’Angleterre, qui eût été la moins pressée de déposer les armes, ne pouvait rien sans la France, qui de son côté commençait à incliner vers la paix. L’Autriche, qui n’avait point engagé son armée, qui sentait bien qu’elle serait obligée de se prononcer, l’Autriche redoublait d’efforts pour amener une transaction, — et de tout cela résultait bientôt en effet un armistice avec des préliminaires de paix. Voila la situation.

Évidemment Cavour, dans le fond du cœur, eût désiré la continuation de la guerre ; il voyait dans une extension de la lutte une chance de plus pour l’Italie. L’intervention de la diplomatie était, jusqu’à un certain point, pour lui une déception. Après tout, puisqu’au lieu de la guerre c’était un armistice, il n’avait plus qu’à tirer parti de la paix comme il aurait essayé de tirer parti de la guerre, et à se tenir prêt aux négociations qui allaient s’ouvrir dans ce congrès de l’Europe appelé à se réunir à Paris. Au premier moment, » le choix d’un négociateur avait été une vive préoccupation à Turin ; d’Azeglio était déjà le plénipotentiaire désigné. A vrai dire, les difficultés effrayaient un peu tout le monde, d’autant plus que personne ne voyait bien clair dans cette phase diplomatique qui s’ouvrait. Bientôt on comprenait que Cavour seul pouvait se tirer de toutes ces complications d’une affaire dont il avait été le promoteur et le directeur. Après avoir hésité un instant lui-même, il ne résistait plus, il se décidait à partir pour Paris comme premier plénipotentiaire de Sardaigne, et dès son arrivée, il avait à en finir avec une question des plus graves. Quel serait réellement le rôle du Piémont ? Quelle devait être sa position dans le congrès ? Rien n’avait été décidé. Ce que Cavour avait fait pour le général piémontais en Crimée, il l’avait fait également pour la diplomatie et il le disait ; « Quand le gouvernement du roi a signé le traité d’alliance avec l’Angleterre et avec la France, il n’a pas cru opportun d’établir d’une manière définitive et particulière la condition qui serait assignée à la Sardaigne dans le congrès. Le gouvernement restait persuadé que pour les nations comme pour les individus la considération, l’influence dépendent de la conduite, de la réputation acquise encore plus que des stipulations diplomatiques. » Il comptait sur son esprit de ressources à Paris comme il avait compté sur La Marmora en Crimée, et il ne se trompait pas. Vainement l’Autriche avait essayé de persuader à la France et à l’Angleterre que le Piémont avait pu prendre part à la guerre sans avoir le droit d’être représenté au