Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/876

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La vérité est que Cavour était déjà tout entier à cette idée et que, si cela n’eût tenu qu’à lui, il serait entré dès le premier jour dans l’alliance occidentale ouverte par le traité anglo-français du 10 avril 1854. Le Piémont se trouvait fort à l’aise ; il n’avait aucune relation régulière avec la Russie depuis 1848. L’empereur Nicolas, peut-être par antipathie contre le régime libéral de Turin, un peu aussi sans doute pour plaire à l’Autriche, n’avait pas même daigné répondre aux premières notifications officielles du roi Victor-Emmanuel. Rien ne gênait donc le Piémont dans la liberté de ses résolutions et de ses sympathies pour la cause occidentale ; mais Cavour n’était pas seul. Après le roi, gagné le premier à son idée, il avait encore à conquérir ses collègues, presque tous récalcitrans, le ministre des affaires étrangères Dabormida, Rattazzi comme les autres, puis le parlement, l’opinion. Au premier moment, à Turin, il faut le dire, ce projet à demi ébruité faisait l’effet d’une fantaisie d’esprit aventureux. Quelle raison avait-on de se jeter dans cette entreprise lointaine ? Que serait le petit Piémont à côté des deux plus grandes puissances de l’Europe ? Quel pouvait être le rôle du modeste contingent sarde au milieu des armées de la France et de l’Angleterre ? Était-ce le moment d’imposer au pays de nouveaux sacrifices pour une folie ruineuse lorsqu’on avait tant de peine à éteindre le déficit ? — Cavour, sans être insensible à des oppositions avec lesquelles il avait après tout à compter, ne se laissait pas détourner de son but. Il voyait là une occasion unique d’effacer Novare, de mettre en relief la nouvelle armée sarde, de s’assurer l’appui de la France et de l’Angleterre, de conquérir pour le Piémont le crédit moral et diplomatique. Il mettait tout son feu à populariser son projet, à gagner des alliés, et un instant persuadé qu’un autre réussirait peut-être mieux, il offrait à Massimo d’Azeglio de lui céder la présidence du conseil, de servir sous ses ordres ou même de quitter tout à fait le ministère si c’était nécessaire. « Fais ce que tu croiras le mieux, lui écrivait-il, je te soutiendrai en tout et pour tout, pourvu que tu fasses l’alliance ! » D’Azeglio se hâtait de refuser, en promettant tout son appui à une politique dont il comprenait toute la grandeur et que nul ne pouvait mieux conduire que celui qui l’avait conçue.

Au milieu de ses perplexités, Cavour avait l’œil fixé sur l’Autriche, lorsque tout à coup éclatait à Turin la nouvelle que le cabinet de Vienne venait de signer avec la France et l’Angleterre ce traité du 2 décembre 1854 par lequel il s’engageait et il ne s’engageait pas. Dès lors la question devenait pressante. Si l’Autriche, avant d’aller plus loin, cherchait à faire acheter son concours, à Paris et à Londres, par une garantie de ses possessions italiennes, c’était un danger que le Piémont avait intérêt à détourner en entrant au plus vite