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révolutionnaire ; mais ceci n’était rien encore. C’est à l’intérieur que les difficultés devenaient par instans sérieuses et même pénibles.

Tout ce système d’impôts nouveaux, de réformes financières, de traités de commerce, ne pouvait malheureusement être mis en action sans émouvoir bien des intérêts, sans provoquer des malaises, des froissemens, des crises d’un moment. Les mauvaises récoltes, les épidémies sur les vers à soie ou sur les vignes venaient aggraver le mal. Tout était exploité par l’esprit de parti ou de faction. Si le prix du pain s’élevait, c’était évidemment la faute de Cavour et de ses réformes ! On déclamait contre le ministre qui affamait le peuple, contre les accapareurs, et un soir, dans cette paisible ville de Turin, une foule ameutée se portait, avec des cris de mort, vers la « maison Cavour, » dont elle brisait les vitres, qu’elle tentait de prendre d’assaut. Ce ne fut qu’une échauffourée qui ne répondait en rien du reste aux sentimens de la vraie population turinoise. Le lendemain, Cavour, accompagné de La Marmora, parcourait à pied les rues de Turin ; se rendant comme d’habitude au ministère des finances, et partout sur son chemin il recevait les marques d’une affectueuse déférence. En Savoie, les journaux de la réaction s’efforçaient d’enflammer les passions, de propager le mécontentement en mettant perfidement en regard ce qu’on payait autrefois et ce qu’imposaient les taxes nouvelles. On accusait publiquement Cavour « d’écraser l’ouvrier, le paysan, d’impôts pour ses utopies italiennes. » Le conseil municipal de Chambéry, livré tout entier aux influences réactionnaires, donnait presque le signal du refus de l’impôt. La garde nationale s’abstenait de se rendre à la fête du « statut, » et un député savoyard écrivait à Cavour : « A têtu, têtu et demi ; ce n’est pas en Savoie que les têtes sont des girouettes. »

La politique religieuse devenait un prétexte d’agitation plus redoutable encore. Aux luttes du parlement répondaient les excitations du dehors. On menaçait le gouvernement qui entraînait le Piémont « au schisme, à l’anarchie, à la décomposition. » On provoquait des scènes pénibles de résistance à l’exécution de la loi qui supprimait certains couvens. Les épidémies, les disettes étaient représentées comme le châtiment des lois sacrilèges. Qu’était-ce donc lorsque le malheur s’abattait sur la famille royale elle-même, lorsque la mort enlevait en quelques jours la reine-mère, la reine, le duc de Gênes ? Ces malheurs, ces deuils imprévus étaient signalés à la cour, dans l’entourage même du roi, comme des avertissemens de Dieu ! Au milieu de ces complications, Cavour, sans faiblir un instant, ne laisse pas quelquefois d’être inquiet. « La politique s’embrouille de plus en plus, écrit-il à ses amis de Genève ; nous avons à lutter contre la disette, les nouveaux impôts, les prêtres et