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répondait vivement : « Si j’avais une opinion à émettre comme citoyen, non comme ministre, je dirais que le gouvernement doit rester étranger à l’enseignement de la théologie, sur lequel il appartient aux évêques seuls de veiller. Les évêques ne doivent pas faire la besogne des députés ni les députés celle des évêques. Nous sommes libres de croire ou de ne pas croire, de choisir pour directeurs spirituels qui bon nous semble. Si les séminaires enseignent une mauvaise morale, nous prendrons pour confesseurs des théologiens qui aient été à l’école de M. Asproni. » Et, parlant plus sérieusement, Cavour ajoutait : « Comment le clergé se convertira-t-il à nos institutions, comment les aimera-t-il, si après lui avoir ôté, et avec raison, quelques-uns des privilèges, que l’ancien régime lui attribuait, si au moment de lui ôter ceux qui lui restent encore, vous venez lui dire : Nous réformons selon les principes de l’égalité et de la liberté toutes les parties de la législation qui vous étaient jadis favorables ; mais, quant à votre indépendance et à votre liberté, nous voulons conserver les traditions du passé que nous appelons, en tant qu’elles vous sont contraires, l’héritage glorieux de nos pères ! .. Le meilleur moyen d’accroître l’influence politique du clergé est de lui faire une situation exceptionnelle, de le persécuter ou seulement de lui infliger des vexations… »

Assurément Cavour avait son opinion sur la direction absolutiste et théocratique de l’église contemporaine, et sur les dangers de cette direction. Il n’avait aucune illusion sur le cléricalisme mêlé à la politique, il avait souvent à le combattre et à lui tenir tête. Il se gardait néanmoins de répondre à des agressions par des représailles de gouvernement ; il ne cessait point pour cela d’être modéré, même dans ces réformes qu’on lui reprochait si violemment. Qu’était-ce en effet que cette loi, une de celles qui ont fait le plus de bruit, sur la suppression de certains ordres monastiques et sur les biens du clergé ? La loi, sans porter atteinte au droit d’association religieuse, supprimait les ordres mendians et quelques autres, qu’elle dépouillait de la personnalité civile ; elle laissait vivre les ordres enseignans, les ordres hospitaliers, surtout les sœurs de charité, et Cavour était le premier à les défendre contre la gauche en déclarant que rien ne le déterminerait à signer une loi qui supprimerait les ordres de charité. « Je quitterais dix fois le ministère, s’écriait-il, plutôt que me rendre solidaire d’un acte qui, à mon avis, ferait un tort immense à notre pays aux yeux de l’Europe civilisée… » Quant aux biens ecclésiastiques, tout consistait dans la création d’une caisse spéciale dotée avec les revenus des ordres supprimés et affectée entièrement au clergé.

Sur ce point, Cavour n’hésitait pas, c’était une des idées fixes de sa politique : il a été toujours opposé à ce qu’on appelait