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progrès de la fortune nationale. De là ce qui complétait son système financier, ou plutôt ce qui en était la partie essentielle et originale. D’un côté, au lieu de suspendre les dépenses, au risque de proroger ou même d’aggraver momentanément le déficit par de nouveaux appels au crédit, Cavour ne craignait pas d’engager plus de 200 millions dans la construction des chemins de fer de Gênes, du Lac-Majeur, de Novare, de Suze, de Savoie, dans des travaux de toute sorte. Il hâtait le développement des communications intérieures, il favorisait l’esprit d’association et d’entreprise sous toutes les formes. D’un autre côté, à peine arrivé au pouvoir, Cavour n’avait point hésité à réaliser dans le petit Piémont une grande idée, la liberté commerciale, qu’il inaugurait par une réforme douanière, qu’il consacrait diplomatiquement par des traités de commerce avec la France, avec l’Angleterre, avec la Belgique, avec la Suisse. Cavour ne procédait point sans doute en théoricien de l’absolu, en libre-échangiste de fantaisie ou de parti-pris ; il accomplissait pratiquement une réforme graduée, proportionnée aux circonstances, qui devait profiter aux consommateurs par les dégrèvemens de tarifs, favoriser le commerce maritime, stimuler l’industrie intérieure par la concurrence étrangère et l’alimenter par le dégrèvement des matières premières, en ouvrant des débouchés aux produits nationaux.

Aggraver les dépenses et les dettes lorsqu’on avait à créer de nouveaux impôts, accomplir une réforme des tarifs après une réforme postale, après une réduction de la taxe du sel, lorsqu’on avait un déficit dans le budget, c’était assurément de la hardiesse, peut-être de la témérité. Cavour déployait dans cette œuvre compliquée, difficile, une confiance imperturbable, comptant sur « la liberté et les miracles qu’elle peut produire, » selon son expression, sur l’influence vivifiante de ces dépenses qu’on lui reprochait, qu’il avait sans cesse à défendre contre toutes les attaques. Il montrait que, si l’on consacrait 1 ou 2 millions à l’amélioration des ports, c’était pour gagner 500,000 francs par an, que, si l’on employait 10 millions au percement du Luckmanier, on augmentait d’un tiers, peut-être de la moitié, le commerce de Gênes ; qu’en garantissant un intérêt au chemin de fer de la Savoie, on faisait dépenser 40 ou 50 millions dans cette province, qui manquait de capitaux. « Pour pouvoir réaliser notre programme, disait-il, pour faire fructifier les ressources du pays, il était nécessaire de donner une grande impulsion aux œuvres d’utilité publique, de pousser nos chemins de fer avec toute la sollicitude possible et d’encourager les autres entreprises… Pour ne point déchoir de la position où s’est maintenue pendant tant de siècles la monarchie de Savoie, il était nécessaire de réorganiser et de fortifier notre armée… Ce système nous imposait la nécessité de