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en Angleterre, ce sont pourtant des titres considérables, quand on y voit avant tout des occasions de devoirs modestement remplis ; la destinée, qui lui avait arraché le premier, lui accorderait sans doute le second. Voilà pourquoi le prince Léopold prenait goût de plus en plus à son rôle de prince anglais, il s’occupait de l’avenir de la Grande-Bretagne, il veillait sur sa nièce, l’entourait d’affections, de conseils, et préparait sa royauté future. Enfin, si une ambition plus active s’éveillait un jour dans son esprit, ne serait-ce pas pour lui un rare avantage d’avoir gardé son rang sur ce grand théâtre de la politique européenne ? Qu’il fût question d’un mariage royal ou d’une couronne, on n’irait pas chercher le candidat dans l’ombre d’une petite principauté allemande ; placé auprès du trône d’Angleterre, il serait naturellement en vue et désigné au choix de la fortune, monstratus fatis.


II

Dans le temps même où le prince Léopold se décidait à rester en Angleterre pour toutes les raisons que nous venons de dire, l’Europe orientale devenait le théâtre d’une lutte qui allait confirmer les principaux argumens de Stockmar. « Restez ici, disait Stockmar, la politique le veut, votre avenir le commande ; c’est ici seulement que la destinée vous trouvera. » Tandis qu’il parlait de la sorte, le soulèvement des Grecs contre les Turcs, préparé depuis tant d’années, prenait des proportions formidables ; Ipsilanli, dans le nord de l’empire ottoman, Petrobey et Kolokotroni dans le sud, rassemblaient des milliers de partisans. Les hélairies se transformaient en armées. De la Moldavie à la Morée, du Danube à la mer ionienne, des appels retentissaient. Hommes des côtes, hommes des montagnes, marins, klephtes, palikares, tout un peuple était debout, et soit que l’insurrection continuât son œuvre avec des alternatives de succès et de revers, soit que la lutte, changeant de scène, passât aux mains de la diplomatie, la guerre de l’indépendance hellénique était le grand événement du monde. Quelques années s’écoulent au milieu d’une immense anarchie. Enfin, cherchant un appui au dedans et au dehors, c’est-à-dire un gouvernement qui leur assure les sympathies de l’Europe, les Grecs commencent à se préoccuper du roi qui pourra garantir leurs conquêtes en donnant à leur indépendance un abri durable, au nouvel état des protections puissantes. À qui pense-t-on tout d’abord ? Au prince Léopold.

On y pensa même bien longtemps avant qu’il pût être question de fonder un royaume avec le concours des puissances européennes. En 1825, — le prince Léopold a raconté cet épisode dans ses