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On peut donc dire que la situation légale des chrétiens, quand leur religion pénétra dans la capitale de l’empire, n’était ni tout à fait bonne ni entièrement mauvaise. Sans doute, la loi, prise à la lettre et interprétée avec rigueur, leur était défavorable ; mais on s’était accoutumé à la voir fort peu exécutée. Il était défendu d’introduire à Rome des religions nouvelles, et toutes les religions du monde s’y établissaient librement. En somme, si la tolérance était contraire à la législation des Romains, elle était conforme à leurs habitudes. Il pouvait donc se faire qu’à un moment ce vieil esprit intolérant et cruel qui avait inspiré les anciennes lois se réveillât ; mais il se pouvait aussi que le christianisme ne fût pas plus inquiété que les cultes égyptiens ou syriaques qu’on laissait célébrer en paix leurs bruyantes cérémonies. La persécution était possible, elle n’était pas inévitable. Dans une situation pareille, l’imprévu, domine, et les événemens les plus légers peuvent avoir les conséquences les plus graves. Ce fut en effet un hasard, un accident qui devint la cause de la première persécution et amena toutes les autres.


II

Pendant le mois de juillet de l’année 64, un terrible incendie avait dévoré plus des deux tiers de Rome. Les malheureux habitans des quartiers détruits, qui avaient tout perdu en quelques jours et se trouvaient sans asile et sans pain, accusaient Néron d’être l’auteur du désastre, et, comme on connaissait l’empereur, ce bruit trouvait beaucoup de créance. Pour détourner les soupçons de lui, Néron eut naturellement l’idée de les diriger sur d’autres. Il fallait trouver des victimes qu’on pût sacrifier sans danger, dont le sort fût indifférent à tout le monde. Les chrétiens, pour leur malheur, furent choisis ; c’était une secte juive qu’on savait obscure, méprisée. On supposa qu’il ne paraîtrait pas invraisemblable de les accuser d’un crime, que personne ne s’aviserait de les défendre.

On ignore tout à fait de quelle manière la procédure fut conduite, mais il ne me semble guère probable qu’on ait mis en avant du premier coup cette accusation d’incendie qu’il était si difficile d’établir : les chrétiens durent être punis comme chrétiens. « On saisit d’abord, dit Tacite, ceux qui avouèrent qu’ils appartenaient à cette secte. » S’ils l’avouaient, c’est qu’on avait commencé par le leur demander, ce qui laisse croire qu’en s’emparant d’eux on ne faisait qu’appliquer la vieille loi sur les cultes étrangers. Cette loi, qu’ils avaient évidemment violée, les mettait sans contestation sous la main de l’autorité ; elle permettait de les poursuivre et de les punir, même quand on ne pouvait pas les convaincre d’un autre