Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/777

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des travailleurs et des oisifs allait plus loin : parmi les oisifs, il rangeait expressément les rentiers, c’est-à-dire ceux qui reçoivent un revenu sans travailler, sans se préoccuper d’ailleurs de savoir si cette rente était faible ou forte, si elle était la récompense d’un travail antérieur et le prix d’un repos mérité. Néanmoins il est juste de reconnaître que malgré ses attaques contre les oisifs, Saint-Simon n’a jamais en la pensée de proscrire ce qui a été depuis l’objet. de si violentes attaques, à savoir le capital. Il n’a jamais appelé du nom d’oisifs ceux qui, étant à la tête d’une industrie, d’une banque, font valoir eux-mêmes leurs capitaux. Bien au contraire, ce sont toujours les principaux capitalistes, comme il les appelle, les principaux banquiers qu’il met à la tête de la société, et son système n’était en réalité qu’une ploutocratie ; mais c’est assez en esquisser le trait général, le but final et les tendances caractéristiques. Il est temps de passer aux moyens d’application : c’est ici que l’on touchera du doigt le caractère utopique et chimérique de ses conceptions.


II

Après avoir fixé le but de l’activité sociale, il s’agit de trouver les moyens d’atteindre ce but et de procéder à l’organisation du système ; il s’agit de trouver le mécanisme qui assurera la prépondérance définitive du système industriel et scientifique sur le système féodal et théocratique.

Nous rencontrons dans les œuvres de Saint-Simon trois plans différens d’organisation sociale[1] : le premier dans l’Industrie (1818), le second dans l’Organisateur (1819), le troisième dans le Système industriel (1821), reproduit plus tard dans le Catéchisme industriel (1823). Le premier de ces systèmes est une sorte de révolution sociale : Saint-Simon y attachait une si grande importance qu’il en envoyait d’avance le plan au Journal général de France, afin de prendre date et de s’assurer la priorité de l’invention[2]. Ce système touchait d’une manière grave à l’organisation de la propriété. Saint-Simon ne se le dissimulait pas ; mais il faisait remarquer que, si la propriété est la base fondamentale de la société, il appartient cependant à la société de fixer les conditions de cette loi fondamentale. « Ce qui est nécessaire, disait-il, c’est une loi qui établisse le droit de propriété, et non une loi qui l’établisse de telle ou de telle manière… Cette loi dépend elle-même d’une loi supérieure et plus

  1. Œuvres, t. XIX, seconde partie, p. 73 et suiv. ; — ibid., t. XX, sixième lettre, p. 50 et suiv. ; — ibid., t. XIX, p. 236.
  2. Ibid., t. XIX, p. 43.