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Au nombre des premiers, il rangeait les agriculteurs, les artisans ou les manufacturiers, les savans, les artistes, ceux des avocats qui défendent les intérêts industriels, et le petit nombre de prêtres prêchant la saine morale. Dans l’autre camp, il comptait les nobles, les prêtres faisant consister la morale dans la crédulité aveugle, les propriétaires d’immeubles vivant noblement, c’est-à-dire sans rien faire, les juges qui soutiennent l’arbitraire, les censitaires qui lui prêtent leur appui, en un mot tous ceux qui s’opposent à l’établissement du système industriel. C’est cette opposition des producteurs et des non-producteurs que Saint-Simon a exposée de la manière la plus piquante dans un morceau célèbre, le meilleur qui soit sorti de sa plume et qui a reçu le nom de Parabole de Saint-Simon, publication qui lui valut un procès, un acquittement et la célébrité[1].

Le fond des idées précédentes n’était pas très différent, à l’origine du moins, de celles qui vers le même temps s’étaient développées dans une certaine branche de l’école des économistes, issue de Jean-Baptiste Say, et dont les deux représentans principaux étaient MM. Charles Comte et Dunoyer, les fondateurs d’une publication célèbre au commencement de la restauration, le Censeur européen. Le régime militaire de l’empire et ses terribles conséquences avaient du développer par réaction l’idée, peut-être exagérée, de l’importance prépondérante des travaux productifs et pacifiques sur les travaux destructifs et militaires. Ainsi naquit l’idée de l’industrialisme, commune alors à plusieurs groupes de penseurs.

C’est, nous dit M. Charles Dunoyer dans un curieux écrit sur l’industrialisme ?[2], d’une phrase de Benjamin Constant que serait née la conception fondamentale de l’école industrielle. « Le but unique des nations, disait Benjamin de Constant en 1813, c’est le

  1. C’est le petit écrit débutant par ces mots : « Nous supposons que la France perde subitement ses cinquante premiers physiciens, ses cinquante premiers chimistes, etc. » Le morceau est beaucoup trop long pour être cité ; mais il est charmant, et d’une insolence élégante digne de Beaumarchais. C’est du reste M. Olinde Rodrigues qui dans son édition des Œuvres de Saint-Simon (1832) a publié ces pages séparément et leur a donné le titre de Parabole. En réalité, ce sont les premières pages de la publication intitulée l’Organisateur (Œuvres, t. XX, p. 17). M. Louis Reybaud a donné cette parabole dans son livre des Réformateurs contemporains.
  2. Voyez ses Notices récemment publiées, p. 173. — Ce n’est pas seulement à cause de l’analogie des idées que Saint-Simon doit être rapproché des écrivains que nous venons de mentionner. Saint-Simon a eu en outre des relations avec le Censeur européen ; il y a publié quelques articles, et l’on peut supposer qu’il en a subi l’influence, (quoique ses premiers écrits soient à peu près contemporains des premières livraisons du Censeur européen. M. Ch. Dunoyer a signalé avec précision les rapports et les différences des deux écoles. Il est piquant que Saint-Simon se soit trouvé successivement en rapport avec deux écrivains du même nom, diversement célèbres, dont les idées ne sont pas sans analogie, Charles Comte, Auguste Comte, et qu’il se soit inspiré de l’un et de l’autre.