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Ce n’est plus qu’une affaire de détail. Il resterait toujours à examiner si ce ne serait pas compliquer gratuitement, inutilement, une situation où tous les esprits sensés semblent avoir la même opinion, et s’il n’y aurait pas pour les chambres plus de dignité à rester dans leur sphère en laissant le pouvoir exécutif accomplir librement une œuvre qui, à vrai dire, n’a jamais été interrompue ; mais ce qu’il y a d’essentiel avant tout, c’est d’en finir avec tous ces subterfuges de tactique et ces atermoiemens, dont l’unique effet est de laisser subsister une question ingrate qui pèse sur le pays, qui embarrasse les partis eux-mêmes et qui semble arrêter les chambres au seuil de leurs véritables travaux.

Est-ce donc que les questions sérieuses, intéressantes et pratiques manquent aujourd’hui ? Est-il nécessaire, sans parler de l’amnistie, de multiplier ces propositions qui ressemblent à une efflorescence de l’initiative individuelle ? Les affaires sérieuses ne manquent certes pas. M. le ministre de la guerre vient de soumettre aux chambres deux lois qui font partie de notre réorganisation militaire, qui touchent à l’administration de l’armée et au service d’état-major. C’est un travail un peu plus important pour le pays que toutes ces motions radicales qui se succèdent. M. le ministre des finances, de son côté, a récemment porté au parlement le prochain budget, et M. Léon Say a la bonne fortune d’offrir aux nouveaux représentants de la France une œuvre aussi simple que rassurante, un budget équilibré. 2 milliards 672 millions de recettes, — 2 milliards 667 millions de dépenses ! Ajoutez à ceci le contingent départemental et communal, ce sera un ensemble de 3 milliards 56 millions ! L’équilibre est atteint sans taxes nouvelles, et il repose sur des données assez certaines pour qu’il n’y ait point de mécompte à craindre, à la condition toutefois qu’on ne cédera pas à la fantaisie de supprimer des impôts ou d’agiter le pays. Voilà ce que M. le ministre des finances offre aux chambres ! M. le ministre de l’instruction publique arrive à son tour avec ses propositions : il vient de présenter une réforme des articles de la loi sur la liberté de l’enseignement supérieur qui ont trait à la collation des grades. La loi subsiste tout entière, le droit seul de conférer les grades est rendu à l’état : ce droit, le dernier ministre de l’instruction publique l’avait abandonné au profit d’un jury mixte, M. Waddington le revendique justement tout entier pour l’état. Voilà des propositions assez sérieuses pour effacer toutes les motions individuelles dangereuses, inopportunes ou futiles, et, à vrai dire, c’est au gouvernement de ne pas se laisser devancer, de mettre un peu d’ordre dans la confusion parlementaire. Il a exposé sa politique, c’est à lui maintenant d’en diriger l’application et de faire sa majorité, s’il ne veut pas que cette majorité lui soit disputée par d’autres influences et lui échappe. Il a joué un peu jusqu’ici un rôle d’observation, le moment de l’action est venu pour lui : la France, comme la majorité des chambres, ne demande pas mieux que de se sentir rassurée, gouvernée et conduite.