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saires ! La « gauche millionnaire, » puisqu’il y a une gauche millionnaire, selon un éminent républicain, cette gauche ne sait pas se servir de l’argent dans les élections ! En bien ! soit, c’est convenu, les républicains sont la vertu, l’innocence même dans les élections comme dans le reste. Tout ce qu’on peut leur demander, c’est de ne pas se montrer des vertueux trop farouches, s’ils ne veulent pas être l’amusement de la galerie, et d’en unir au plus vite avec une vérification de pouvoirs où ils dépensent en rapports et en débats souvent puérils un temps qui pourrait être mieux employé.

La diversion dangereuse du moment, c’est cette question de l’amnistie qui a fait définitivement son entrée dans l’enceinte parlementaire sous la protection de M. Victor Hugo au sénat, de M. Raspail à la chambre des députés, et à laquelle M. le garde des sceaux, M. le ministre de l’intérieur, ont résolument répondu par une demande d’urgence. Chose curieuse ! depuis que la question a fait officiellement son apparition et que l’urgence a été réclamée par le gouvernement, voilà tous les promoteurs de l’amnistie qui sont en campagne, qui épuisent toutes les subtilités de la tactique pour atermoyer, pour éluder l’urgence. Ils ont fait ce qu’ils ont pu pour ajourner d’abord la nomination des commissions parlementaires ; aujourd’hui ces commissions sont nommées au sénat comme à l’autre chambre, et ils éludent encore. Ils sont affamés de documens ; ils ont besoin de lire les rapports de la dernière assemblée sur l’insurrection du 13 mars, le rapport de M. le général Appert sur les opérations de la justice militaire, le rapport de M. Martel sur les travaux de la commission des grâces. Ils éprouvent le besoin de consulter, d’interroger, d’être éclairés, ils font appel à la circonspection, à la réflexion. Ils n’étaient donc pas éclairés, ils ne savaient ce qu’ils faisaient lorsqu’ils prenaient l’initiative des propositions d’amnistie ! Ou bien ils ont une autre raison : ils espèrent, en gagnant du temps, faire passer par quelque subterfuge, par un vote arraché à la lassitude ou à l’inexpérience d’une assemblée, une mesure dont ils se sont fait une arme dans les élections et dont ils sont embarrassés aujourd’hui, Les radicaux, qui ont mis sur leur drapeau le mot d’amnistie, jouent là en vérité un singulier rôle ; ils ne s’aperçoivent pas qu’ils jouent avec une situation douloureuse dans un vulgaire intérêt de parti, et qu’ils rabaissent jusqu’à l’intrigue parlementaire la dignité même de l’acte qu’ils proposent.

Lorsqu’une amnistie comme celle qu’on met en avant devient possible, est-ce qu’il y a tant de documens à compulser, tant de chiffres à supputer ? La vérité est qu’aujourd’hui c’est là une question qui ne peut plus être ni éludée ni ajournée, et qui ne peut avoir qu’une solution. Si la commune avait été une insurrection comme bien d’autres insurrections qui ont malheureusement plus d’une fois ensanglanté Paris et la France, si elle avait été simplement une sédition politique ou même