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paris sont ouverts. Les uns prétendent que les nationaux-libéraux ne résisteront que pour la forme, qu’ils se rendront sans attendre les trois sommations. Leur situation est difficile et un peu compromise. Le parlement n’a plus que quelques mois à vivre, l’ère électorale s’ouvrira avant peu. Les conservateurs prussiens, longtemps divisés, cherchent à reformer leur phalange ; ils se coalisent contre l’ennemi commun, qu’ils travaillent à discréditer dans le pays, — ils l’attaquent à la fois par la sape et par le fer. Si M. de Bismarck retirait aux nationaux-libéraux sa faveur et son appui, s’il les abandonnait à eux-mêmes ou qu’il prît à leur égard une attitude hostile, assurément beaucoup d’entre eux succomberaient dans les élections prochaines, et le parti pourrait essuyer un désastre dont il aurait peine à se relever. Il est en froid avec le tout-puissant chancelier ; il a eu des velléités de résistance, il a combattu et repoussé l’impôt sur la bière, il s’est permis d’amender les articles additionnels au code pénal. S’il refusait de voter le rachat des chemins de fer, on se brouillerait sérieusement ; il ne s’agirait plus d’un dépit amoureux, ce serait une séparation de corps, et qui sait ? peut-être un divorce.

De bons juges soutiennent cependant que les nationaux-libéraux n’accorderont pas facilement le rachat, qu’ils feront leurs conditions. On affirme qu’ils diront au chancelier de l’empire : « Vous nous en demandez beaucoup ; donnant, donnant. Le gouvernement impérial acquerra par le rachat des chemins de fer, si nous le votons, un accroissement très considérable de ressources et de puissance. Il est naturel que nous exigions des garanties. Vous êtes jusqu’aujourd’hui, en votre qualité de chancelier, le seul ministre responsable de l’empire. Qui répond de tout ne répond de rien, et votre responsabilité est illusoire. Consentez à la partager avec d’autres ministres qui tiendront en bride votre omnipotence ; concédez-nous au moins la création d’un ministère impérial et responsable du commerce. » Si les nationaux-libéraux élèvent cette prétention, un incident naîtra dans l’incident. On paraît croire à Berlin que M. de Bismarck ne l’emportera que s’il fait à M. Lasker et à ses amis la concession qu’ils réclament de lui. La fera-t-il ? Jadis il s’y est nettement refusé. Il disait en 1869 : « Quiconque a été dans un ministère ou s’est trouvé à la tête d’un conseil de ministres, et a du prendre des résolutions sous sa propre responsabilité, ne craint point cette responsabilité ; mais il redoute la tâche de persuader à sept personnes qu’il a raison de vouloir ce qu’il veut. C’est un bien autre labeur que celui de gouverner un royaume. » Il disait aussi : « Voulez-vous un chancelier qui consente à accepter des collègues ? Cherchez ailleurs. Je me fonde sur mon droit constitutionnel ; j’ai accepté l’office tel qu’il est défini dans la constitution. Le jour où j’aurai un collègue, ce collègue sera mon successeur. »