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fer de diriger le trafic de manière à le donner où à l’ôter aux états secondaires, selon que ces états favoriseraient ou contrarieraient ses vues, et que partant il pourrait exercer sur les gouvernemens fédérés une pression telle, qu’ils se verraient contraints à faire également cession de leurs chemins à l’empire. » On a remarqué depuis longtemps que certaine politique avait pour principe de n’ôter à personne son habit Elle se contente de vous arracher vos boutons l’un après l’autre ; quand votre habit ne peut plus vous servir, elle a l’obligeance de vous en soulager.

M. de Bismarck n’a jamais fait d’entreprise au dehors sans s’être assuré au préalable qu’il aurait des alliés ou des complices, et jamais it n’a soulevé une question politique ou économique sans avoir passé un contrat avec cette puissance que les uns appellent le diable et les autres l’esprit du siècle. En proposant le rachat des chemins de fer, il est certain de satisfaire de nombreux intérêts et de trouver dans l’industrie et dans le commerce de chaleureuses adhésions. Saint-Just prétendait que le bonheur est une idée neuve en Europe. Ce qui est hors de doute, c’est qu’en tout ce qui concerne ses aises et sa liberté d’action l’homme du XIXe siècle est infiniment plus difficile et plus exigeant qu’on ne l’était avant lui. On a eu raison de dire que si les abus ont diminué, la sensibilité aux abus est devenue plus vive, ce qui fait compensation. C’est une admirable invention que les chemins de fer ; il reste à les perfectionner, ils n’ont pas dit encore leur dernier mot, et on ne peut nier que sur plus d’un point ils ne donnent prise à la critique, ils ne fournissent matière à des plaintes et à des doléances fort légitimes. Le morcellement politique de l’Allemagne l’avait empêchée d’établir sur un plan d’ensemble un réseau savamment combine. Chacun des états souverains n’avait consulté en cette matière que son avantage et ses goûts, ici construisant et exploitant pour son compte, ailleurs faisant construire par des compagnies et se réservant l’exploitation, ailleurs encore l’abandonnant aux compagnies concessionnaires. Les règlemens variaient à l’infini, c’était une véritable bigarrure. Chaque administration en prenait à son aise, faisait son pot à part, sans souci du voisin. Les intérêts communs étaient sacrifiés aux convenances particulières. Il fut un temps où de Cologne à Berlin le malheureux voyageur était obligé de changer cinq fois de wagon. A force de se plaindre et de protester, on a obtenu la réforme des abus les plus crians ; en ce qui touche au trafic, on est encore loin de compte.

Les marchandises sont classées en nombreuses catégories, et cette classification diffère de lieu en lieu. De là une multitude de tarifs spéciaux ; à cette confusion s’ajoute celle des tarifs différentiels. Impossible à l’expéditeur d’un colis de calculer ce qu’il lui en coûtera pour le faire parvenir à destination ; souvent l’employé qu’il interroge n’en sait pas plus que lui et ne lui répond que par un à-peu-près. C’est le règne des cotes mal taillées, toujours odieuses au commerce, qui se résigne