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n’apparaissent que comme des moyens commodes d’émouvoir le spectateur ; souvent ils remplissent un rôle secondaire et ne servent qu’à mener l’action, comme dans les féeries ordinaires. Dans Shakspeare au contraire, la scène est vraie ; c’est bien une hallucination telle qu’elle devait forcément se produire d’après toutes les données de la psychologie. Plus d’intervention d’un merveilleux factice ; c’est le merveilleux réel, si l’on peut dire, tel que le crée le cerveau de l’homme en proie à la fièvre ou aux passions. C’est cette réalité qui fait de Shakspeare le plus dramatique et le plus puissant des poètes. Lorsque le spectre de Banquo apparaît à Macbeth, notre impression est d’autant plus forte que le spectre n’est visible que pour Macbeth. Comment mettre mieux en évidence à la fois les troubles de l’âme et le supplice moral du criminel ? Étant donné le tempérament de Macbeth, cette nature où l’on trouve un mélange si bizarre de courage et de superstition, de férocité et de pusillanimité, les illusions sensorielles devaient se produire fatalement et au moment précis où les place le poète.

Par quel effort de génie, par quelle intuition mystérieuse Shakspeare, à une époque où médecins et public croyaient encore que les affections nerveuses dépendaient de puissances occultes, est-il arrivé à se débarrasser complètement de ces préjugés et à indiquer la vraie cause de ces maladies ? Ces affections, les plus compliquées et aujourd’hui encore les plus difficiles à bien reconnaître, ont toujours eu le privilège d’étonner, de terrifier même ceux qui on étaient témoins. Les manifestations de ces maladies prêtent singulièrement à la croyance à des êtres surnaturels, comme l’a fait remarquer M. Maury dans son livre de la Magie et de l’Astrologie ; l’agitation des malades, leurs visions, les cris qu’ils poussent, les paroles étranges qu’ils prononcent, leurs mouvemens incohérens, leur aspect souvent effrayant, tout cela semble l’effet d’une puissance étrangère qui les domine et les subjugue. Le malade perd visiblement dans ces crises sa liberté et sa raison ; il éprouve un sentiment d’oppression et de constriction, et semble lutter contre un être invisible qui a pris possession de son corps. Si, à l’époque où vivait Shakspeare, quelques-unes des plus simples et des plus communes de ces affections nerveuses avaient déjà été reconnues, la croyance au surnaturel trouvait encore un aliment dans la plupart de ces phénomènes. Comment s’en étonner, puisque aujourd’hui même ce penchant invétéré au merveilleux est si vivace qu’à chaque instant on le voit reparaître sous de nouvelles formes ?

Dans les drames shakspeariens, nous aurons toujours à signaler l’exactitude des considérations médicales ou psychologiques ; mais c’est surtout au point de vue des hallucinations que l’analyse de