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villes mêmes sont de grands villages agricoles : la ville de Debreczin par exemple a plus de 30,000 habitans, de beaux monumens, des libraires et des imprimeurs ; là aussi, à côté des magasins, vous trouverez des granges et des étables, les fiacres rencontrent au coin des rues les troupeaux de bœufs et les chars qui rentrent la moisson. Une mauvaise récolte est donc un désastre universel, à plus forte raison cinq mauvaises récoltes consécutives. La nourriture devient insuffisante et malsaine, et les épidémies ont plus de prise sur les corps affaiblis. Le choléra de 1873, qui n’a pas fait moins de 100,000 victimes, a été grandement aidé dans son œuvre de destruction par la mauvaise hygiène à laquelle ont été soumis les paysans plusieurs années de suite.

La disette et le choléra ne sont pas les seuls fléaux qui se soient abattus sur la malheureuse Hongrie. Des ouragans furieux, comme on n’en voit habituellement que sous les tropiques, ont détruit des maisons.et noyé leurs habitans. Plusieurs rivières ont débordé, et tout récemment la crue du Danube faisait craindre l’entière destruction de la capitale. Les calamités naturelles, que la sagesse humaine ne peut ni conjurer, ni prévoir, suffiraient donc à expliquer en partie un incontestable malaise. Si dans les premiers temps du dualisme et du compromis avec l’Autriche tout semblait marcher à souhait dans le royaume transleithan, c’est que le sol produisait en abondance des grains demandés sur tous les marchés de l’Europe ; si dans la période suivante non encore terminée aujourd’hui tout a semblé paralysé, c’est que tous les malheurs se réunissaient pour accabler le royaume rendu depuis quelques années à son autonomie. Ce sont là des causes fatales, irrésistibles, nous pouvons ajouter rassurantes, car elles ne sont pas de celles qui peuvent s’acharner indéfiniment sur une société ; l’avenir ramènera sans aucun doute une série plus fortunée.

Il est vrai que ces causes ne rendent pas un compte suffisant de la situation vraiment inquiétante des finances publiques : disproportion toujours plus accusée entre l’accroissement des recettes et l’accroissement des dépenses, emprunts difficilement et incomplètement couverts, variations ministérielles amenant des systèmes nouveaux et peu durables. On ne s’expliquerait pas suffisamment non plus le succès médiocre de plus d’une entreprise particulière ou collective. Aux forces de la nature il faut ajouter en effet les fatalités historiques et les illusions des contemporains.

L’abolition du régime féodal en Hongrie ne date que de vingt-six ans, et il est loin d’avoir disparu des souvenirs et des mœurs. On peut ne pas s’en douter lorsque, dans un voyage à Constantinople, on s’arrête à l’hôtel Hungaria entre deux bateaux à vapeur pour