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il faut constater les périls et les difficultés, tout en se gardant de craintes exagérées. L’admirable équilibre économique de la France, avec son agriculture variée et féconde, son industrie puissante et originale, ses habitudes financières, régulières et prudentes, cet équilibre encore fortifié aux yeux de tous par l’épreuve que nous avons faite, après la dernière guerre, de notre merveilleux crédit, nous rend volontiers des juges difficiles quand il s’agit de nations moins heureusement douées que la nôtre.

Assurément la Hongrie ne peut pas être comptée parmi les pays mal doués, mal pourvus par la nature ; mais l’équilibre, l’harmonie économique lui fait défaut. C’est un malheur peut-être pour un grand pays industriel de devoir toujours compter sur son charbon, son fer et ses filatures ; c’est un malheur aussi pour un pays d’être exclusivement agricole, au point de se trouver à la merci d’une mauvaise récolte. Traversez la puzta chantée par les poètes nationaux, la vaste plaine magyare qui voit chaque soir d’été le globe rouge du soleil disparaître derrière l’horizon lointain comme dans le désert ou l’océan ; vous serez effrayé des périls qui menacent ce grenier magnifique. Ces terres noires et fortes, aussi plates que la mer par un calme absolu, sont presque au même niveau que les larges eaux de la Theiss et des autres cours d’eau ; de votre wagon, le fleuve et le sol vous sembleront être juste à la même hauteur. Que sur les pentes des montagnes, disposées comme un cirque immense autour de la puszta, la neige fonde brusquement, ou que les nuages attirés et retenus par ces sommets laissent tomber des pluies trop abondantes, rien ne peut empêcher une inondation à perte de vue et la ruine des plus riches moissons. Ce soleil ardent, qui dore les épis et qui fait mûrir sur les coteaux le raisin de Tokay, s’il se fait sentir avec trop de force, dessèche et stérilise les champs de blé ; c’est ainsi qu’il y a moins de deux ans quelques jours de chaleur excessive au printemps ont suffi pour détruire les plus belles promesses.

Dans de pareilles conditions, la récolte est superbe ou elle est nulle ; or le malheur a voulu qu’après une série de bonnes années vînt une série d’années détestables comme les plus vieux paysans ne se rappellent pas en avoir vu. Qu’on se figure dans une semblable contrée les effets d’une mauvaise récolte ! En France, où les ressources présentent une grande variété, où d’ailleurs il y a trop de climats différens pour que le mal frappe également toutes les parties du territoire, en France une mauvaise récolte est déjà une calamité. Qu’est-ce donc dans une région où la plaine, les coteaux, les montagnes s’arrondissent en cercles concentriques, où il fait presque toujours le même temps partout, dans une région où les