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aucune notion des paroles et du genre même de l’ouvrage, et ne connaissaient les motifs que pour les avoir entendus une fois dans un orchestre de Pesth, en sorte que l’air connu sous le nom d’air des collets noirs, joué avec une vigueur majestueuse, semblait un chaut patriotique remarquable par l’ampleur et l’élévation.

Les souvenirs agréables que nous a laissés cette journée ne doivent pas nous faire négliger d’autres aspects de la vie politique hongroise : il faut l’envisager dans la capitale, au parlement. La tribune magyare est aujourd’hui, comme il y a trente ans avec les Széchenyi et les Kossuth, une des plus remarquables de l’Europe par le talent littéraire et l’éloquence. Malheureusement elle ne l’est pas au même degré par la modération et la sagesse politiques dans les questions où il s’agit de l’existence d’un ministère : on a pu signaler, tantôt avec inquiétude, tantôt avec une joie malicieuse, tous ces cabinets qui tombaient depuis trois ans les uns après les autres sans évidente nécessité. La principale cause en est sans doute dans le peu d’expérience qu’ont encore les Magyars du régime parlementaire complet. Habitués à la vie provinciale dans leurs comitats, habitués dans les diètes à une lutte patiente avec la couronne et avec les ministres allemands, ils n’avaient pas, dans leur vigoureuse mais imparfaite constitution, la responsabilité ministérielle proprement dite. L’expérience de 1848 avait été trop courte pour pouvoir compter ; ce n’est donc que depuis huit ou dix ans que les députés ont entre leurs mains l’existence des ministères : est-il étonnant qu’ils aient usé de leur pouvoir avec trop de vivacité ? Espérons qu’ils trouveront bientôt le moyen d’éviter des crises aussi fréquentes. Déjà la distribution des partis s’est simplifiée le jour où M. Tisza, en arrivant aux affaires, a fortifié le parti modéré par le précieux concours du centre gauche.

Lorsqu’on parle des députés, il semblerait que l’on dût aussi se préoccuper des magnats, car la Hongrie possède une pairie qui s’est constituée dès la fin du moyen âge comme la pairie anglaise, avec les mêmes élémens laïques et ecclésiastiques. Les révolutions et les réactions ont respecté cette haute chambre, sa composition, son cérémonial et ses costumes ; au moins dans les grandes occasions, telles que la clôture des sessions législatives, à voir la robe rouge du primat, qui est presque toujours cardinal, les robes violettes des évêques, les sabres recourbés, les grands manteaux, les bonnets de fourrure, on pourrait se croire au temps de Marie-Thérèse, si ce n’est au temps de Mathias Corvin. Hélas ! le courant qui entraîne les nations de l’Europe n’est guère favorable aux chambres héréditaires ; partout où ces vieilles institutions ne sont pas rajeunies par un élément électif, ou bien elles disparaissent, ou bien elles perdent