Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/611

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
605
LA MADONE DE L’AVENIR.

— Pourquoi donc souriez-vous ? s’écria-t-elle. Puisque vous en doutez, il faut que vous voyiez le bambino.

Elle prit la lampe, et me conduisit vers l’autre bout de la chambre où se trouvait accroché au mur, entouré d’un simple cadre de bois noir, un grand dessin à la sanguine. Au-dessous, on voyait un bénitier. Le dessin représentait un très jeune enfant complètement nu, à moitié niché sur les genoux de sa mère, mais qui étendait en avant ses deux petits bras comme pour donner une bénédiction. Cette sanguine était exécutée avec une sûreté de main et une vigueur singulières, et semblait néanmoins resplendir de la délicate fraîcheur de l’enfance. Une sorte d’élégance et de grâce naïves, se mêlant à une merveilleuse fermeté de touche, rappelait la manière du Corrége.

— Voilà ce qu’il peut faire ! dit mon hôtesse, c’est la vivante image du petit ange que j’ai perdu, et le signor Teobaldo me l’a donnée. Il m’a donné bien d’autres choses !

Je contemplai pendant quelque temps le dessin, et j’exprimai très sincèrement mon admiration. Je déclarai à Théobald que, si son œuvre était accrochée parmi les dessins du musée des Offices et signée d’un nom glorieux, les critiques s’y tromperaient. Mes éloges parurent lui causer un vif plaisir ; il me pressa les mains avec effusion, et ses yeux se remplirent de larmes. Il éprouva sans doute le désir de me raconter l’histoire de cette esquisse, car il se leva bientôt et fit ses adieux à notre hôtesse, lui baisant la main avec la même ardeur respectueuse que lors de notre entrée. Je pensai que la façon dont elle accueillerait ma politesse m’aiderait à juger à quelle espèce de femme j’avais affaire, et je me disposai à imiter mon compagnon. Dès qu’elle s’aperçut de mon intention, elle retira vivement sa main, baissa les yeux et m’adressa une révérence cérémonieuse. Théobald me prit le bras et m’entraîna rapidement dans la rue.

— Et que pensez-vous de la divine Sérafina ? s’écria-t-il dès que nous eûmes fait quelques pas.

— Sa beauté possède au moins le mérite de la solidité, répliquai-je.

Il me regarda un instant d’un air irrité ; puis il parut oublier ma réponse pour s’abandonner au courant de ses souvenirs.

— Ah ! je voudrais que vous eussiez pu voir la mère et l’enfant, dit-il, comme je les ai vus lors de ma première rencontre, — la mère, un châle drapé autour de la tête, le visage troublé par une douleur ineffable, le bambino pressé contre sa poitrine ! Vous auriez avoué, je crois, que le hasard m’envoyait un modèle aussi beau que ceux de Raphaël ! Je revenais un soir d’été d’une longue pro-